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7 jours dans la peau d’un livre

 

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Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passait dans la tête d’un livre, entre le moment où il atterrit chez le libraire et celui où vous le rangez dans votre bibliothèque ? Non ? Eh bien, nous l’avons fait pour vous. Suivez les 7 jours d’un livre !

Lundi

Aujourd’hui, j’ai été transporté dans un carton, au milieu de dizaines d’autres livres qui me ressemblent comme deux gouttes d’eau. Il faisait atrocement chaud, là-dedans, et j’ai même eu peur d’abîmer ma couverture. Mais tout va bien, rien à signaler, à part peut-être que je ne vois pas du tout d’un bon œil cette ressemblance. Je pensais pourtant être unique, mais je me suis trompé. Quoi de plus vexant que découvrir qu’on n’est qu’un clone ? Je maudis celui dont le nom figure sur ma couverture, tel un tatouage on s’est fait dans l’adolescence lors d’une soirée trop arrosée et dont on aimerait bien se départir… en vain, parce qu’on n’a pas les moyens. Tiens, un peu de lumière ! À qui appartiennent ces mains moites qui me soulèvent négligemment comme si je n’étais rien d’autre qu’un amas de papier ? Oh, on me pose au-dessus de mes congénères, mes clones ! Je crois que j’ai atterri dans une librairie.

Mardi

J’en ai déjà assez. Tous ces va-et-vient d’humains devant moi, qui, toute la journée, me soulèvent, me tripotent, me reposent comme si je n’étais qu’un vulgaire objet, commencent à me fatiguer. Quand va-t-on me sortir d’ici ? Il n’y a donc pas moyen d’avoir un peu d’intimité ? Ça commence à devenir pesant. En voilà un autre qui me regarde, me touche, me caresse voluptueusement en parcourant mon dos des yeux ! Il va me reposer, comme tous les autres. Je ne suis qu’un mal-aimé, de toute façon. Une seconde. Il m’emporte ! Quoi, alors je lui plais ? Je retiens un rire tandis que le scanner passe sur mon code-barres, me chatouillant doucement. Je n’en reviens pas. Je viens d’être acheté !

Mercredi

Bon, ça commence à bien faire ! J’étouffe dans ce sac plastique depuis presque vingt-quatre heures, si ma notion du temps est bien exacte. Pourquoi m’a-t-on acheté si c’est pour me faire supporter des conditions de vie aussi minables ? Tout ça parce que je n’ai pas le don de parole ! Si je pouvais me plaindre, est-ce qu’on s’occuperait de moi ? Je ne comprends pas les humains. Pourquoi m’avoir acheté si c’est pour me laisser traîner ? Ils sont d’un ridicule… Je veux retourner chez mes parents. Ils s’appellent Imprimante et Encre, et ils m’ont beaucoup mieux traité que n’importe qui jusqu’à présent. J’ai envie de pleurer. Mais si je le fais, je serai illisible. Oh, quelle frustration ! Tiens, de la lumière ! On me sort du sac !

Jeudi

En fait, on m’a sorti, on m’a feuilleté, et on m’a posé sur une table pour m’oublier complètement. C’est de la maltraitance. Je vais porter plainte. Enfin, j’aimerais bien, mais je sais que c’est impossible. Je déteste les humains. Je déteste être ici. Je veux rentrer chez moi, même si je ne sais pas exactement où c’est. Je ne sais même plus qui sont mes parents, en fait. Imprimante et Encre ou Auteur ? Attendez, on m’ouvre. Mais ce n’est pas celui qui m’a acheté. Ces mains sont plus petites, plus moites et… plus sales ! Quelle horreur ! Du chocolat ! Il m’en met partout ! Mais quelqu’un va faire quelque chose ?! Ah, on l’engueule. Mais c’est trop tard, les dégâts sont déjà terribles… Je suis défiguré à vie.

Vendredi

Je ne suis plus sur la table. Je suis entre les mains de celui qui m’a sorti de la librairie dans laquelle il aurait mieux fait de me laisser vieillir. Il est en train de me lire. Il a essayé de réparer les dégâts faits par le mini-lui, mais bon, je ne serai plus jamais le même. En plus, il me tort et me plie, j’ai l’impression d’être courbaturé et d’avoir une arthrite. Je ne savais pas que c’était aussi fatiguant d’être moi. Mais malgré tout, j’ai quand même l’impression qu’il m’aime bien. Parfois, il rigole, comme si je lui avais raconté une blague digne d’un one man show. Ça fait toujours plaisir de se sentir intéressant.

Samedi

Depuis hier soir, on ne se quitte plus, mon maître et moi. Il me serre contre lui, me caresse gentiment page après page, et son regard attentif me scrutant dans les moindres détails me donne l’impression d’être unique. Mes clones, je les ai déjà oubliés. Car pour cette personne, il n’y a que moi. Je lui procure du bonheur et elle me le rend en retour. C’est comme ça que se passent les relations humaines, non ? Est-ce que je serais devenu un humain, moi aussi ? J’ai l’impression qu’un dialogue s’est ouvert entre nous, alors que je ne sais même pas parler. C’est vraiment étrange. Mais je crois qu’Auteur, qui est comme un dieu pour moi, m’a créé dans cette optique-là. J’ai enfin l’impression de remplir la mission dont j’ai été investi dans ce monde.

Dimanche

On est en fin d’après-midi, je crois, et mon maître vient de tourner la dernière page qui me constitue. Il vient de me refermer et m’observe longuement en souriant. Il a l’air ému. Je le suis moi aussi un peu. Je me suis attaché à lui, moi. J’ai bien aimé rester avec lui dans son lit, en pleine nuit, enveloppé par sa chaleur et par son odeur agréable. Mais je crois qu’il est en train de me dire au revoir. Il caresse une dernière fois ma couverture, avant de me poser sur une étagère, parmi d’autres livres qui me ressemblent beaucoup. Mais seulement dans la forme. Parce que sinon, on est tous différents. Ils me saluent tous avec chaleur, ils ont l’air sympathique. Certains ont l’air malheureux parce qu’ils sont pleins de poussière, qu’ils vieillissent là depuis des mois voire des années, mais je reste confiant. Mon maître et moi avons un lien spécial et, un jour, il me relira.

Michelle Mbanzoulou

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