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Entretien avec Fabrice Gobert

Auréolé du succès de la série Les revenants, Fabrice Gobert revient au cinéma en réalisant K.O. Antoine Leconte (Laurent Laffite), homme de pouvoir dominateur, arrogant, bénéficie d’une réussite insupportable. Un matin, le monde dans lequel il évoluait s’effondre, il se retrouve perdu dans un environnement qu’il ne maîtrise plus. Avec ce film, Fabrice Gobert propose un tableau sombre mais nuancé, de la violence des rapports sociaux ; le tout teinté de fantastique.

Lecthot : Après Les revenants et Simon Werner a disparu, vous restez dans le registre du fantastique avec ce film, même si c’est un fantastique plus proche de la réalité et parfois teinté de comédie. N’aviez-vous pas le désir de changer de registre ?

Fabrice Gobert. : C’est surtout le projet qui m’a intéressé ; le projet m’a motivé et je ne me suis pas posé la question du registre. Pour la suite, je travaille sur un projet dans lequel il n’y a pas une goutte de fantastique. Il est vrai que j’affectionne particulièrement le fantastique mais aussi l’hybridation des genres. Dans Les Revenants, il y avait un mélange de fantastique et de réalisme, dans K.O il y a cela aussi mais d’une autre manière. Le cadre est plus réaliste et le fantastique s’immisce peu à peu et vient remettre en question la réalité, c’est un parti pris totalement différent de celui des Revenants. Dans K.O, les différentes parties du film sont réalistes et c’est l’enchaînement entre ces différentes parties qui vient justement remettre en question le réalisme.

L : Pour réaliser Les Revenants, vous avez travaillé avec Emmanuel Carrère en tant que co-scénariste. Comment cela s’est-il fait ?

F. G. : Oui, sur la saison 1 des Revenants, j’ai commencé à écrire tout seul en m’inspirant d’un film de Romain Campillo. Je voulais travailler avec un autre scénariste pour m’aider et mes producteurs ont pensé à Emmanuel Carrère (je n’aurais pas osé y penser tout seul). Le projet l’a intéressé, ce que j’avais écrit aussi et nous nous sommes vus pendant quatre mois pour écrire ce qui est devenu le scénario de la série. Tout s’est formidablement bien passé. C’était un écrivain que je connaissais bien mais je ne soupçonnais pas son goût pour le genre fantastique (il a même écrit une biographie de Philippe K. Dick). On a beaucoup réfléchi ensemble au mélange entre fantastique et réalisme, à la façon de faire naître le fantastique et de traiter des questions graves comme le deuil ou la résurrection par le biais du fantastique.

L : Votre personnage principal évolue dans le milieu de la télé. Une chaîne dont le logo est d’ailleurs un C. Utilisez-vous ce film pour transcrire ce que vous avez vécu à Canal+ ?

F. G. : Beaucoup de gens m’ont posé la question alors que je n’avais pas du tout pensé à ça. Le logo est surtout inspiré des chaînes américaines et Canal+ n’était pas encore représenté par un C à l’époque. Ma volonté était surtout de transcrire une entreprise de média classique, un milieu que ma co-scénariste et moi connaissons, mais le monde des médias est seulement un cadre dans lequel le personnage évolue pour faire de l’argent et profiter de son pouvoir. Le but n’était pas de parler de façon réaliste du monde des médias même si le fait que je connaisse cet univers me permet de le transcrire en partie. Je voulais mettre en avant plutôt le personnage que l’entreprise. Par ailleurs, tout s’est bien passé avec Canal+ pendant Les revenants et je n’ai aucun grief ni ressentiment à leur égard.

L : Vous établissez une forme de symétrie entre le Antoine à la réussite insupportable et insolente du début et celui qu’il devient. Mais cette symétrie est volontairement incomplète et imparfaite. Pourquoi ce choix ?

F. G. : Je voulais éviter le manichéisme et ne pas refaire un film qui aurait déjà été fait. J’ai donc choisi d’utiliser ce schéma presque classique du récit introspectif fantastique où quelqu’un se réveille dans une réalité différente. On connaît assez bien ce schéma et je voulais le réutiliser en proposant un traitement plus anxiogène. L’objectif était de proposer une relecture non-manichéenne des rapports entre les gens et ici du rapport d’Antoine Leconte avec son entourage.

L : Dans la deuxième partie du film, Antoine se retrouve dans un monde où il est dominé. Mais la symétrie des situations, tout en étant globale, n’est jamais parfaite. Pourquoi cette volonté d’éviter un renversement complet ?

F. G. : Ma volonté était qu’Antoine évolue mais que la rédemption ne soit pas totale. C’est quelque chose dont le personnage n’est pas capable, il ne peut pas y arriver. La volonté de dominer est dans sa nature et il ne s’en départit pas mais j’aime bien penser qu’il ne sortira pas indemne de l’expérience qu’il a vécue.

L : La fin du film (qu’on ne va pas dévoiler) arrive de façon inattendue, impromptue. Pourquoi le choix d’une telle rupture ?

F. G. : L’objectif (sans botter en touche) est vraiment de susciter le questionnement du spectateur qui va finir par se raconter l’histoire à sa façon. Chacun pourra sortir avec sa version, ses solutions aux questions : qui est Antoine Leconte et comment il évolue dans son milieu ?

L : Le message du film et son contenu émotionnel, l’empathie qu’il va susciter, tout cela s’appuie beaucoup sur la présence de Laurent Lafitte. Le film aurait-il pu fonctionner avec un autre acteur ?

F. G. : Ç’aurait été vraiment très compliqué avec quelqu’un d’autre. Laurent Laffite était parfait pour ce rôle, il a une présence physique très intéressante. Antoine Leconte est un personnage plus en réaction qu’en action, le rôle nécessitait beaucoup de nuances, et de présence physique ce que Laurent a su amener avec brio. Il arrive à être très expressif, à construire un personnage archétypal tout en le nuançant au fur et à mesure du film.

Propos recueillis par Arthur Delacquis

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