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Entretien avec Thomas Kruithof

Au chômage depuis deux ans suite à un burn-out, Duval incarné par François Cluzet, est contacté par un homme d’affaire énigmatique. Ce dernier lui propose de retranscrire des écoutes téléphoniques. Duval accepte la mission mais s’interroge rapidement sur la finalité réelle de son travail. Entraîné au cœur d’un complot politique, Duval doit s’en sortir seul, dans un environnement qu’il ne connaît pas ; les services secrets…  La Mécanique de l’ombre est le premier film de Thomas Kruithof. Entretien.

Thomas Kruithof sur le tournage

Thomas Kruithof sur le tournage du film

Lecthot : Pour votre premier film, vous avez réuni un casting 4 étoiles (Cluzet, Podalydès, Bouajila). Comment parvient-on à convaincre de tels acteurs de se lancer dans son premier film ?

Thomas Kruithof : Ce qui est merveilleux c’est que ces grands acteurs lisent les scénarios, y compris ceux de scénaristes inconnus. Souvent, on me demande si je suis le fils de quelqu’un… J’ai tout simplement envoyé le scénario ! François Cluzet l’a lu, puis on s’est rencontrés et on a commencé à construire une vision commune autour du film. Il en a été de même avec l’ensemble des acteurs. Cette confiance mutuelle m’a porté tout au long du film.

 

L : Le format du film est court (1h30) ce qui rend le rythme particulièrement dense. Aucune scène n’est laissée au hasard. Quelles sont vos influences ? 

T.K. : Je ne m’étais pas imposé de durée. Je désirais simplement que le film soit juste et que le rythme du film s’accélère progressivement… C’est un film qui appelle une économie narrative, qui ne doit pas se répéter, qui doit maintenir un suspense constant, et un investissement du spectateur qui doit tenter comme le héros de démêler les fils de l’intrigue.

Le film part d’éléments réalistes pour aller progressivement vers un monde souterrain un peu inquiétant et étrange, épousant les codes du thriller. Il tend vers l’ombre, vers des décors de plus en plus vastes et déshumanisés ; vers l’inquiétant. J’ai essayé d’éviter la complaisance et les répétitions, pour dire le maximum avec le plus d’économies. Le jeu des acteurs est également d’une grande sobriété : ils jouent des personnages opaques, qui contrôlent ce qu’ils disent. Les silences et les regards sont très importants dans un tel film et ils peuvent dire beaucoup plus que les répliques. Le jeu est tout en retenue, et c’est à Duval (François Cluzet) et aux spectateurs de fonder une théorie sur le rôle de chacun.

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L : Vous associez au personnage de Duval beaucoup de maux de la société actuelle et des thèmes d’actualité (alcoolisme, solitude, burnout, espionnage, secrets …). Qu’est-ce que cela symbolise ?

T.K. : Mon idée était de faire un film d’espionnage en prenant un type au plus bas de l’échelle d’une organisation secrète, un type un peu comme nous, un peu monsieur tout le monde, qui a été abimé par la vie, qui a besoin de ce travail, qui est « instrumentalisable » et qui va être instrumentalisé. L’idée était de découvrir avec lui, en étant cloisonné, les éléments du complot à travers un personnage qui au départ est dépourvu de curiosité, et qui ne veut pas savoir. Le point de départ qui m’intéressait était de montrer cette évolution dans la douleur, provoquant une renaissance du personnage qui trouve une force en lui pour combattre le système dans lequel il est emporté.

 

L : Le décor est assez basique pour un film sur les hautes sphères politiques et économiques. Pourquoi ce choix de simplicité ?

T.K. : C’est une réflexion globale. Effectivement, un film comme celui-là doit être un film d’atmosphère. J’aurais pu filmer en 4/3 afin de créer un sentiment d’enfermement mais ce qui m’intéressait, c’était de filmer en scope avec de l’espace autour du héros pour retranscrire cette vision que j’avais d’un homme perdu dans un labyrinthe. Il a une ville autour de lui, des lignes partout qui le contraignent, c’est graphique : j’ai cherché à dépouiller pour que tout paraisse un peu déshumanisé. Et puis, il faut que le spectateur puisse amener sa contribution, que les objets, le cadre, et tous les éléments visuels jouent un rôle et envoient des signes interprétables pour le spectateur.

Progressivement le spectateur en vient à interroger tous les évènements qui se produisent, et se méfier de tous les protagonistes qui entourent Duval, et la paranoïa va grandissante.  J’avais envie qu’il y ait une progression dans les décors, que le film évolue vers des lieux imposants, des lignes fortes, des ombres, des contrastes. Des lieux d’arcanes du pouvoir, les colonnades, un amphithéâtre, un stade vide, évoquant un monde un peu souterrain. Il fallait que l’on comprenne que le personnage est à Paris, mais sans pouvoir tout à fait identifier le lieu. Que la réalité soit un peu décalée. Une rue, mais au milieu de la nuit, sans bruit… Un appartement dans lequel on n’entend pas de bruits humains de voisinage, mais la machine à écrire, et un bruit sourd de canalisations. Plus ça devient mental, plus la paranoïa s’installe.

 

L : Le personnage de Cluzet se retrouve au centre d’une machination infernale, beaucoup trop grande pour lui, dont on ignore comment il va sortir. Qu’avez-vous voulu montrer à travers le thème de la loi du silence et des secrets ? 

T.K. : Les jeux de pouvoirs font partie de la démocratie même si ceux qui sont dans le film sont davantage de l’ordre du complot, et de l’utilisation des services secrets à des fins politiques, n’ayant plus rien à voir avec l’intérêt de la nation ou la raison d’état. Ce n’est pas du tout un film à message mais je pense qu’il est nourri par certaines de nos inquiétudes en tant que citoyens.

 

L : Les films à suspense sont-ils votre genre de prédilection ou pourrait-on vous voir dans d’autres genres ?

T.K. : J’aime tous les genres de cinéma mais je crois que mon moteur d’écriture est le suspense. Cela ne signifie pas pour autant que je ne n’écrirai que des films de genre.

 

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