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« Sois belle et tais-toi »

La préciosité s’est développée en France au milieu du XVIIe siècle. A la fois littéraire et culturel, ce mouvement promouvant le raffinement et la chasteté aura une grande influence sur son temps… et sera aussi l’objet de nombreuses railleries. Mais les précieuses, ces femmes pédantes que Molière a tournées sans pitié en dérision, sont-elles si ridicules ?

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Qui sont les précieuses ?

A l’origine, le courant de la préciosité est apparu en réponse au système patriarcal, présupposant que les hommes étaient supérieurs aux femmes par essence. Il prônait le savoir et le savoir-vivre. D’ailleurs, l’aspect intellectuel y était bien plus valorisé que les bijoux et les toilettes. Ceci soulignait le fait que les femmes n’avaient pas besoin de ces messieurs pour dialoguer sur des sujets érudits, et que leur existence pouvait dépasser le concept du « sois belle et tais-toi ». Oui, c’était un peu le féminisme avant l’heure.

Les femmes qui ont porté ce mouvement organisaient des salons littéraires, fréquentés par des aristocrates à la fois nobles de sang et « d’âme ». Les précieuses considéraient en effet que le simple titre de naissance ne suffisait pas pour fréquenter leur cercle, et réclamaient également certaines qualités morales et une sensibilité littéraire. Le salon le plus célèbre et le plus actif était « La chambre bleue » de Catherine de Vivonne à l’Hôtel de Rambouillet. Madeleine de Scudéry et Madame de La Fayette joueront également un rôle majeur dans l’univers des salons.

Le seraient-elles un peu trop…?

C’était pour la théorie. En pratique, les précieuses ne lisaient pratiquement que des poèmes d’amour et discutaient ensuite (d’amour) avec un lexique composé de périphrases et d’hyperboles étranges. Leur vocabulaire devait être intense, délicat et ne jamais comporter la moins syllabe évoquant un soupçon de cocasserie ou de vulgarité. Cet objet, par exemple, est un « conseiller des grâces » :

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A ne pas confondre avec les « miroirs de l’âme », qui eux ne sont pas des miroirs mais vos jolis mirettes ! Les précieuses sont des femmes surprenantes : elles « travestissent leurs pensées » pour « avoir de l’esprit » et pourtant « les mots leur manquent »… Cette pudeur excessive a été largement critiquée et parodiée par les auteurs, et il faut admettre le fond de vérité derrière les œuvres qui tournent en dérision ce courant.

Le ridicule ne tue pas !

Malgré tout, les précieuses ont apporté une vaste contribution à la société, encore visible aujourd’hui. Tout d’abord, outre l’inspiration offerte à leurs contemporains, leur élégance donnera l’impulsion au mouvement libertin et l’idée des salons sera reprise au XVIIIe siècle par les Lumières. Elles ont aussi inventé beaucoup de mots toujours utilisés actuellement (« féliciter », « enthousiasmer », « anonyme », « incontestable », « furieusement », « s’encanailler »…) et inauguré de grandes réformes de simplification de l’orthographe : les accents circonflexes pour remplacer les « s » à foison, ce sont elles ! (Bien qu’aujourd’hui, ledit accent soit en voie de disparition…) Rendez-vous compte, si les précieuses n’avaient pas fait un peu de ménage on n’écrirait pas « auteur » mais « autheur » !

Certes, l’attitude extrême des précieuses justifie qu’on s’en moque un peu… Mais peut-on vraiment leur faire la leçon avec notre éducation nationale qui parle de « milieu aquatique profond standardisé » et « d’outil scripteur » pour évoquer une piscine et un stylo, ou serait-ce simplement une preuve supplémentaire de leur influence des siècles plus tard ? Et puis, soyons honnête : qui n’aime pas se sentir « briller dans la conversation » ?

Camille Launay

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