Comment imaginez-vous le paradis ? Un jardin de nuages blancs et de pommiers, quelques anges bienveillants pour vous accueillir et une éternité de jours heureux devant vous ?… Et l’enfer ? Une cohorte de diablotins mal-embouchés, prêts à vous faire subir mille supplices, pour vous faire expier tous vos pêchés, y compris celui, où, à sept ans, vous aviez dérobé deux carambars à la boulangerie ? Paradis ou enfer, l’au-delà est depuis toujours le tourment universel des hommes. Selon Lincoln, il était concevable « que l’on regarde la terre et que l’on soit athée » mais impossible de « lever, la nuit, les yeux sur le ciel, et se dire qu’il n’y a pas Dieu. » Ecrivains, philosophes, artistes et penseurs, tous ont tenté de percer ce mystère universel. Lumière sur les diverses représentations de l’au-delà qui ont marqué l’Histoire…et nos histoires.
Au royaume des morts
Enfers et Champs Elysées chez les grecs
La prochaine fois que vous arpenterez la célèbre avenue, vous aurez peut-être une pensée pour tous les citoyens de la Grèce et de la Rome Antique qui auraient rêvé d’être à votre place.
Au sein de la mythologie grecque et romaine, les Enfers constituaient des lieux souterrains où se rendaient les âmes, une fois la mort survenue, pour y être jugées, et recevoir le châtiment de leurs fautes ou la récompense de leurs bonnes actions. Le Tartare était l’endroit le plus profond des Enfers, véritables oubliettes pour les mortels qui avaient enfreint les lois divines sur terre, ou simplement contrarié les dieux. Erebe permettait aux âmes d’expier temporairement leurs fautes (pour les carambars volés, c’est donc là-bas que vous auriez été sèchement envoyé.). Puis la plaine des Asphodeles qui regroupait les mortels ayant vécu une vie terrestre apathique, sans aucun sens. Et enfin, les Champs Elysées, qui étaient réservés aux vertueux, ayant même accompli quelques actions héroïques de leur vivant.
Invités au Banquet d’Odin
En ce qui concerne la mythologie nordique, il existait deux sortes de morts : ceux qui avaient trépassé de manière « ordinaire », dans leur lit, et ceux qui étaient tombés le glaive à la main sur les champs de bataille. Les premiers s’en allaient hanter les royaumes de l’infernale Hel, tandis que les seconds étaient invités à rejoindre « la halle du Valr », ce qui se rapprochait le plus du paradis selon les scandinaves. Là-bas, Odin régnait en maître des lieux, au sein de ce vaste édifice aux six-cent quarante portes d’or, où l’on se battait la journée, avant de se reposer le soir avec du vin d’hydromel (tiré de la chèvre personnelle d’Odin, Heiorun) et du sanglier, dans une ambiance pour le moins festive !
La Faucheuse au bout du stylo
A l’inverse de ces sociétés pour qui la mort était inhérente à la vie, force est de constater que l’ère actuelle repose essentiellement sur le déni de notre finitude. Pourtant, cette étrange compagnie que nous repoussons « nous tient par des liens subtils« selon Baudelaire. Les poètes ont souvent donné à la grande faucheuse l’image d’une visiteuse crainte, ou bien tout au contraire, celle d’une amie bienveillante qui viendrait nous délivrer d’une vie de misère. La mort s’impose comme une muse éternelle, source d’inspiration inaltérable pour les artistes.
Dans Belle du Seigneur, la mort est appréhendée comme un salut, pour Solal et Ariane qui refusent que leur passion dépérisse au fil de la vie. L’idée de consécration et de néant unie dans la mort au sein d’un étrange paradoxe.
Emma Bovary choisit quant à elle l’arsenic, non seulement par lassitude des « bassesses, des convoitises (…)« mais aussi parce que cette mort tragique vaut peut-être mieux à ses yeux que le reste d’une longue vie monotone et sans passion.
Certains font le choix de mourir, d’autres se refusent tout simplement d’y penser. Mais si la mort est inéluctable, faut-il pour autant la craindre ? Les préceptes épicuriens recommandent de se familiariser avec l’idée que la mort n’est rien pour l’homme, car tout ce que nous ressentons, en bien comme en mal, réside tout d’abord dans la sensation : or, la mort se définit comme « la privation complète de cette dernière […]. » De ce fait, il serait inutile de l’appréhender. Tant que nous existons, « la mort n’est pas, et lorsque la mort est là, nous ne sommes plus. »
Tolstoï, dans La mort d’Ivan Ilitch montre que si l’agonie d’Ivan Ilitch est longue et douloureuse, il souffre davantage de l’attente de la mort :
« Le docteur disait que les souffrances physiques d’Ivan Ilitch étaient terribles, et il disait vrai; mais ses souffrances morales étaient encore plus épouvantables que ses douleurs physiques, et c’était elles qui le torturaient surtout (…) »
La mort est omniprésente dans la littérature, tous âges et genres confondus. Harry Potter n’a de cesse de la frôler et de la mettre en échec. Loin d’une menace, la mort se définit pour le petit sorcier comme une force, qui lui permet de combattre Voldemort. Si Voldemort a toujours fuit la mort en traquant le secret de l’immortalité, Harry lui, n’a jamais cherché à s’y soustraire. Et cette attitude, au contraire de celle de Voldemort, l’a paradoxalement rendu maître de la mort, car il consent à mettre sa peur de côté, et à risquer ce sacrifice ultime par amour pour ses amis.
« Le vrai maître ne cherche pas à la fuir la mort. Il accepte le fait qu’il doit mourir et comprend qu’il y a dans le monde des vivants des choses pires, bien pires, que la mort (…) N’aie pas pitié des morts […]. Aie plutôt pitié des vivants et surtout de ceux qui vivent sans amour (…) Pour un esprit équilibré, la mort n’est qu’une grande aventure de plus. »
Si toute cette littérature foisonnante a pour vocation de tenter d’élucider ce mystère biologique, elle a aussi pour but d’éviter que l’homme, se croyant immortel, n’adopte des comportements futiles au cours de sa vie. L’art et la littérature ne cessent de rappeler aux hommes leur condition de mortels, à l’instar des vanités picturales.
Mémento Mori
L’homme porte toujours en lui l’appréhension de la mort, qui est un scandale pour l’esprit parce qu’il n’en existe pas de témoignage empirique, en dehors de la fiction. Le poète choisit d’haranguer les foules insouciantes et inconscientes de leur fin prochaine :
« On vit, usant ses jours à se remplir d’orgueil ;
On marche, on court, on rêve, on souffre, on penche, on tombe,
On monte. Quelle est donc cette aube ? C’est la tombe. »
Victor Hugo, Ce que c’est la mort
Baudelaire plaint quant à lui celui qui « n’aime pas la Mort. ». Car celle-ci se montre indissociable de la vie et est la seule à comprendre les affres et les troubles des poètes. « Le tombeau seul toujours comprendra le poète. ». Ambivalence baudelairienne, la mort est à la fois source de sérénité et de tourment, elle est l’accent fort qui donne à la vie toute sa plénitude.
« Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes. »
Il nous faut apprendre à mourir comme l’écrivait Platon, pour qui la mort est l’occasion de retrouver les vérités éternelles dans lesquelles nous étions plongés avant de naître. Notre finitude est une composante irréductible de la vie humaine qu’il faut simplement accepter pour pouvoir jouir entièrement de notre être, comme le conseillait Montaigne.
Condamné à vivre «dans un monde imparfait», le poète imagine un univers salutaire :
«C’est cet admirable, cet immortel instinct du Beau qui nous fait considérer la Terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du Ciel. La soif insatiable de tout ce qui est au – delà, et que révèle la vie, est la preuve la plus vivante de notre immortalité. C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique, que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau. »
Baudelaire
Peut-être suffit-il de baisser les yeux sur un livre pour trouver notre salut. Car comme le dit si bien Pennac, contre la mort, un livre » c’est un objet contondant et un bloc d’éternité. »
Camille Allard