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Entretien avec Cordula Kablitz-Post

Muse de Rilke, amie de Nietzsche et de Freud, Lou Andréa Salomé est l’une des grandes figures de l’histoire de la littérature. Trop souvent, son oeuvre a été oubliée alors que les hommes qui ont partagé sa vie occupaient la lumière. Cordula Kablitz-Post lui rend enfin hommage avec une biographie cinématographique haute en couleur.

Lecthot : Comment vous est venue l’idée de faire un film à propos de la vie de Lou Andreas-Salomé ?

C. K. : C’est une longue histoire. Quand j’avais 17 ans, je suis tombée sur sa biographie. Je ne la connaissais pas jusqu’alors mais quand j’ai découvert son histoire j’ai été fascinée par l’histoire de sa vie. Elle est née à Saint-Pétersbourg et sa culture russe m’intéressait d’autant plus qu’elle appartenait à la communauté germanophone, tout comme mon père. Et surtout sa vie est incroyable. C’était une femme forte, butée, qui faisait ce qu’elle voulait. Elle ne faisait pas de compromis et ne se souciait pas de l’opinion des autres. Elle était extrêmement moderne à sa façon et c’est quelque chose qui m’a attirée quand j’avais 17 ans car c’est un âge où l’on est à la recherche de modèles, particulièrement quand on est une femme car il y a finalement peu de grandes héroïnes que les jeunes filles peuvent idéaliser.

L : Quelle est votre position personnelle par rapport à la philosophie de vie de Lou Andréas-Salomé ? Partagez-vous sa vision du monde ?

C. K. : C’était une intellectuelle très cultivée qui connaissait parfaitement la philosophie. Elle a écrit des romans, des essais, une biographie de Nietzsche mais ses écrits qui m’ont le plus touchée sont ceux sur la liberté. C’est un thème très important pour elle car il revient toujours quand elle écrit sur les autres philosophes. Elle admirait Freud qui était une sorte de figure paternelle pour elle bien qu’il n’ait été que de quatre ans son aîné. Je me rattache assez à cette philosophie qui a été la sienne.

L : Pensez-vous que depuis l’époque de Lou Andréas-Salomé, les inégalités entre les hommes et les femmes aient évolué de la bonne manière ? Celle que Lou Andréas Salomé aurait souhaité ?

C. K. : Lou Andréas-Salomé n’était pas véritablement engagée au sein des luttes féministes car elle rejetait toute forme de dogmatisme. A l’époque, les mouvements féministes étaient beaucoup plus moralisateurs notamment en ce qui concerne la vie amoureuse. Elle-même était déjà plus libérée que ce que les mouvements de libération de la femme prônaient à l’époque. Elle disait aussi « Je veux me battre pour MES droits ». Elle était donc très en avance sur les mouvements de son époque mais par conséquent très seule avec peu de monde dans son camp. Elle se comportait indépendamment des standards moraux, d’une façon proche des hommes, et à cette époque cela ne plaisait pas aux féministes. Mais les critiques ne l’ont jamais affectée, elle avait coutume de dire « Je veux vivre pour ce feu qui est en moi, peu importe ce que les gens attendent de moi ». On la considérait comme égoïste mais un homme qui aurait vécu de la sorte aurait été qualifié de fort et d’indépendant ; cela montre bien l’étendue des problèmes d’inégalité.

L : Pourquoi avez-vous choisi de raconter sa vie à travers le prisme de Ernst Pfeiffer ?

C. K. : Quand on raconte une vie, il faut essayer d’éviter que ce ne soit qu’une simple addition d’événements. Il faut donc donner une raison au fait de s’intéresser à une vie complète. J’ai passé près de six ans à faire des recherches et à essayer d’obtenir des financements. J’ai passé beaucoup de temps à Göttingen où elle a vécu la fin de sa vie et où encore aujourd’hui des gens l’avaient connue. La fille de Ernst Pfeiffer y vit toujours et elle continue le travail de son père et elle m’a raconté : « C’était dur pour ma mère et moi de voir à quel point mon père avait fini par tomber amoureux de Lou Andréas-Salomé ». C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il s’agissait d’une superbe façon de raconter cette histoire, en prenant le regard d’un admirateur fasciné.

L : Comment imaginez-vous la relation entre Pfeiffer et Lou ?

C. K. : Je pense que c’était une relation platonique. C’est une histoire d’amour, finalement assez triste mais basée sur un grand respect mutuel. Elle était fascinée par ce jeune homme qui lui rappelait Rilke et qui, à son contact, a pu mûrir et se détacher de ses soucis, devenir un homme. Lou Andréas-Salomé était aussi une bonne psychanalyste puisqu’en parlant avec lui, en échangeant, elle a réussi à lui permettre de s’ouvrir, de se libérer.

L : Comment avez-vous choisi vos acteurs principaux ?

C. K. : J’ai eu un très bon agent de casting qui m’a recommandé Catarina Laurens. Je voulais aussi des acteurs de théâtre, pas des superstars car quand on voit une superstar dans un film, on pense plus à l’acteur qu’au personnage qu’il incarne. Même si ces acteurs jouent bien, on les voit d’abord comme des stars et comme je voulais donner à mon film une dimension documentaire, je voulais des acteurs que le grand public n’identifie pas. Même Catarina n’avait pas une grande expérience du cinéma, ce qui ne l’a pas empêchée de jouer parfaitement, d’être très belle et très naturelle.

L : Comme Lou Andréa-Salomé, vous avez écrit des poèmes ?

C. K. : J’ai beaucoup écrit de poésie étant jeune mais aujourd’hui je n’ai plus le temps. La réalisation de films et la production de documentaires me prennent beaucoup de temps.

L : Vos projets de films tournent souvent autour de femmes fortes. Pourquoi ?

C. K. : Oui, les figures de femmes autonomes, fortes, indépendantes m’intéressent beaucoup. En outre, les films sont souvent faits par des hommes et ils choisissent rarement de faire des femmes les personnages principaux de leurs créations. Les femmes ont souvent des rôles mineurs ou moins intéressants au cinéma. Aussi, quand je contacte une actrice pour jouer dans l’un de mes films, elle me dit souvent « oui, ça me tente parce que ça raconte l’histoire d’une femme forte ». Et il y a encore beaucoup d’histoires de femmes à raconter.

Propos recueillis par Marine Rolland Lebrun

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