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Entretien avec Pierre Lemaître

Écrivain touche à tout, Pierre Lemaître s’est livré récemment à un nouvel exercice. Il a présidé le jury français du Champs-Élysées Film Festival pour nommer le meilleur film indépendant. Prix Goncourt 2013 avec Au revoir là-haut, il a publié en 2016 Trois jours et une vie, livre dans lequel il revient à son genre de prédilection, le polar, en mettant en scène un assassin âgé de 12 ans.

Lecthot : Qu’avez vous pensé de cette expérience de président du jury d’un festival international de cinéma ?

Pierre Lemaître : C’était très agréable parce que le jury est composé de gens qui ne se prennent pas trop au sérieux, conviviaux. Nous avons été admirablement reçus dans un cadre luxueux, sur les Champs-Élysées. J’avais une certaine crainte du moment des délibérations, c’est un moment qu’on redoute quand on a pas cette expérience d’avoir déjà présidé un jury. On se demande si tout le monde va bien pouvoir prendre la parole et s’exprimer sans être frustré. Mais tout s’est bien passé puisque le jury était composé de gens très civilisés.

L : Quels éléments vous ont poussé à accepter la présidence d’un jury de festival de cinéma?

P. L. : Je ne suis pas un homme de cinéma. J’ai touché au cinéma au moment de l’adaptation en film de mes romans mais je ne suis pas un scénariste ou un professionnel du cinéma. Mon cœur de métier, c’est la littérature. J’ai donc abordé mon rôle avec humilité. J’ai même commencé par refuser au moment où on me l’a proposé mais les gens de l’organisation m’ont alors expliqué que c’était justement ce qu’ils souhaitaient : avoir quelqu’un ne venant pas du monde du cinéma. Mais je n’ai pas accepté d’emblée parce que la chose n’était pas très naturelle pour moi.

L : Vous avez tout de même une certaine expérience du cinéma. Vous avez co-scénarisé Au revoir là-haut qui a été réalisé par Albert Dupontel ?

P. L. : J’ai participé au scénario mais je n’ai pas réellement co-scénarisé le film. Nous nous sommes simplement retrouvé au début pour poser les bases de l’histoire mais nous nous sommes rendus compte très vite qu’il valait mieux que le film soit vraiment son film et donc le scénario son scénario. Nous nous sommes très bien entendus et c’est un artiste d’une telle envergure que je n’avais pas grand chose à lui apporter en terme de préparation du scénario. Il me tenait simplement au courant et je donnais mon avis mais c’était consultatif. Mais j’ai eu des expériences plus intenses dans le cinéma. Je suis en train de scénariser en ce moment l’adaptation de mon dernier roman Trois jours et une vie et de préparer le scénario d’une série qui sera diffusée sur Arte basée sur mon roman Cadres noirs.

L : Comment pourriez-vous décrire votre rapport au cinéma ?

P. L. : Je ne suis pas un « cinéphile ». Je suis simplement un amateur de cinéma. En discutant avec Albert Dupontel, qui a une culture cinématographique incroyable, je me suis rendu compte que je n’avais pas vu un dixième des films dont il me parle. Mon rapport au cinéma est également très dissymétrique. Je peux m’enthousiasmer pour des films très médiocres et bailler devant d’autres qui sont géniaux. J’essaye donc d’avoir la même attitude que vis à vis de la littérature. On peut aimer un film qui est mauvais et détester un bon film. Il ne faut jamais considérer son propre goût comme le bon goût.

L : Hitchcock est un réalisateur que vous mentionnez comme source d’inspiration. Quels sont vos autres cinéastes-modèles ?

P. L. : J’ai une immense admiration pour les films de Martin Scorsese. En particulier, Les affranchis ou Casino. J’aime aussi beaucoup les œuvres de F.F.Coppola. Mais j’ai des goûts très éclectiques. Dans mon écriture, je suis très influencé par Hitchcock et je suis en permanence vampé par la façon qu’il a de maîtriser à la perfection un art difficile, celui de raconter des histoires. J’aime aussi beaucoup les frères Coen qui sont à la fois déjantés et très rigoureux et qui maîtrisent très bien les mécanismes de la narration.

L : Vous avez eu le prix Goncourt pour Au revoir là-haut qui est un roman picaresque et historique. Mais le reste de votre œuvre est centrée autour de romans noirs ou policiers. Auriez-vous préféré obtenir le Goncourt pour un roman policier et redonner de la légitimité à ce genre romanesque ?

P. L. : D’un point de vue strictement personnel, je n’aurai pas préféré obtenir le Goncourt pour un autre de mes romans. Mais je pense que si le Goncourt m’avait été attribué pour un autre livre cela aurait été une bonne nouvelle pour la littérature parce que le Goncourt n’a jamais été attribué à un roman policier ou à un thriller alors que ce sont des genres dans lesquels écrivent de vrais écrivains. Cela n’aurait donc pas changé grand chose pour ma carrière mais j’espère que, tôt ou tard, le Goncourt sera effectivement attribué à un roman policier. C’est tout de même un peu dommage de constater que Simenon n’a jamais reçu le prix Goncourt. Il aurait été intéressant de donner un label de légitimité à un genre littéraire qui souffre d’ostracisme et qui est considéré comme un sous-genre.

L : Le Goncourt a-t-il changé votre vie ?

P. L. : Il y a deux sortes de Goncourt : ceux que le Prix consacre et ceux dont ça ne change pas la vie ni la carrière. Quand Marguerite Duras l’a reçu, elle était déjà une auteure considérable, traduite, reconnue. Même chose pour Jean Echenoz ou Michel Houellebecq. Cela n’a probablement pas changé grand chose à leur vie de le recevoir même si ça leur a probablement fait très plaisir.

Pour moi qui étais plutôt un outsider, l’impact est tout autre. A partir du Goncourt, je ne continue pas une carrière entamée ; je change de carrière. C’est un peu la même chose pour Leïla Slimani à ceci près que c’est une jeune femme qui est encore en début de carrière. Or, c’est souvent difficile de commencer à ce niveau-là, cela risque de lui donner beaucoup de pression et d’anxiété pour la suite même si je suis ravi que son talent soit couronné.

L: Dans votre dernier roman Trois jours et une vie, vous portez une attention particulière au décor et aux personnages secondaires. Prenez-vous parfois plus de plaisir à peindre ce décor que votre personnage principal ?

P. L. : Je n’irais pas jusque là. Je porte effectivement beaucoup d’attention au décor et aux personnages secondaires. Mais cela tient d’abord au fait que le roman policier est un roman de genre et à ce titre il obéit à des règles. Il y a une mécanique narrative de l’histoire qui doit être bien huilée. On consacre souvent tellement d’énergie à cette mécanique qu’on finit par avoir une narration qui fonctionne bien mais l’histoire devient plate et émotionnellement, elle ne fait rien vivre à son lecteur. Par exemple, les romans d’Agatha Christie sont très bien construits mais ce sont surtout des jeux intellectuels. Ces romans peuvent intriguer, amuser ou accrocher le lecteur mais jamais l’émouvoir.

Dans le roman policier, il est donc essentiel de soigner les personnages secondaires et la toile de fond pour rendre possibles les émotions. Sinon, on a simplement l’impression de personnages qui s’agitent artificiellement devant une toile de théâtre. L’histoire est comme vitrifiée. Or, je considère que le métier de romancier, c’est de fabriquer des émotions. Si vous avez raté vos personnages secondaires et votre toile de fond, l’émotion ne viendra pas. J’ai tendance à simplifier les personnages mais à complexifier leurs interactions. Pour moi, faire un bon roman, c’est réussir à faire très bien des choses très simples. C’est ce qu’il y a de plus difficile.

L : Le roman policier est un genre moins légitimé. Pensez-vous qu’en donnant un cadre et un regard social aux romans de ce genre on puisse donner une nouvelle noblesse au genre ?

P. L. : Cela a déjà été fait. Dans ses romans Simenon peignait une certaine réalité sociale de la France. Beaucoup de romans noirs se basent aussi sur des problématiques sociales. Ce genre de choses existe donc depuis longtemps mais le genre n’est toujours pas légitime.

L : Vous utilisez des faits divers réels dans la trame de plusieurs romans. Sont-il les éléments moteurs de la démarche d’écriture ?

P. L : Non, à part pour Cadres Noirs. Le reste du temps, il m’est arrivé d’en utiliser mais seulement comme élément perturbateur dans une histoire que j’avais déjà commencée à mettre en place. C’est le cas de la tempête de 1999 dans Trois jours et une vie. Le recours à un fait divers se fait en cours d’écriture, à un moment où j’ai besoin d’un événement de grande ampleur qui ait une portée globale. Je vais chercher le fait divers qui servira à mon histoire mais ce n’est pas lui qui est à l’origine de l’histoire.

L : Il existe encore à un certain degré un tabou de l’enfance. Dans Trois jours et une vie vous mettez en scène un assassin de 12 ans. Était-ce une volonté de briser ce tabou?

P. L : Non. Je ne suis pas un écrivain à message, je voulais seulement raconter une histoire. Ce qui m’intéressait, c’était à la limite d’explorer la contradiction entre le crime qu’on associe au mal et l’enfance qui est synonyme de pureté et de naïveté. Il y a une espèce de dissonance cognitive à imaginer une telle association que je trouvais intéressante. Mais je voulais moins mettre l’accent sur les éléments qui le poussent à commettre ce crime que sur la façon dont il va pouvoir continuer à vivre après cela. Dans Au revoir là-haut je m’étais intéressé à la guerre à travers l’après-guerre, dans Trois jours et une vie je parle du crime de cet enfant à travers l’après-crime. Il y a des écrivains qui s’intéressent beaucoup aux causes, au « comment en-est on arrivés là ?», je m’intéresse plutôt aux conséquences.

Propos recueillis par Arthur Delacquis

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