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Entretien avec Maurice Dekkers

En janvier 2015, au Danemark, le Noma se voit décoré pour la quatrième année consécutive du titre de meilleur restaurant du monde. Mais, le chef René Redzepi refuse de se reposer sur ses lauriers. Il ferme alors le restaurant pour s’expatrier deux mois au Japon avec son équipe. Dans quel but ? Pour proposer un menu de quatorze plats conçus pour l’occasion, avec les ingrédients locaux. Un défi de taille…
Maurice Dekkers a choisi de réaliser un film sur cette histoire. Un long métrage très original puisque le réalisateur a du composer non pas avec des acteurs, mais avec des cuisiniers. Entretien avec Maurice Dekkers.

 

Lecthot : Dans un restaurant, la cuisine est en général un lieu d’agitation constante, mais dans votre film, cet univers parait anormalement calme. Comment expliquer ce décalage ?

Maurice Dekkers : S’il n’y avait pas cette sensation de rush, c’est parce qu’il n’y avait pas grand monde dans la cuisine, et comme les chefs étaient peu, ils étaient plus concentrés. De plus, personne n’attendait son assiette dans le restaurant, donc les chefs avaient tout leur temps. Tout ce qu’ils devaient faire, c’était créer, préparer, sans l’urgence de la clientèle.

 L : Le film est assez silencieux, il comprend notamment très peu de musique. Est-ce pour inciter le spectateur à se concentrer sur le savoir-faire culinaire, et être au plus près de l’ambiance qui se trouve en cuisine ?

M. D. : Je pense que c’est très important que le spectateur ait le sentiment d’être avec eux, en train de travailler dans la cuisine. Dans cette optique, j’ai utilisé beaucoup de microphones pour les chefs. Ils ne parlaient pas beaucoup, donc on pouvait vraiment les entendre respirer et aussi avoir tous les bruits de fond en parallèle. Normalement, il y a beaucoup de bruit en cuisine, entre les casseroles qui s’entrechoquent, les cris, le couteau qui hache… Je voulais avoir des sons proches de la réalité pour avoir le sentiment d’être au plus près d’eux, et retranscrire cette ambiance de travail particulière.

L : Peut-on comparer la conception d’un film et l’élaboration d’un plat ?

M. D. : Oui, absolument. Je pense que cela vaut aussi pour l’écrivain qui rédige son livre, pour l’architecte qui construit sa maison, ou pour n’importe quel autre créatif. On a une idée, on la met en oeuvre, on est excité de commencer, et une fois le travail entamé, on se demande pourquoi on a eu cette idée ! Et puis, quand on a fini, on est à nouveau heureux, on trouve une autre idée, et on recommence !  Ce film est assez autobiographique, et je me suis senti de ce fait très lié aux chefs. J’ai moi-même revendu ma compagnie pour faire ce film, tout comme eux ont abandonné leur restaurant pour partir au Japon. Il y avait une vraie connexion.

L : Si vous avez plongé dans un univers qui n’est pas le vôtre, l’équipe a elle aussi du découvrir un autre monde que celui de la cuisine. Était-ce compliqué de mener René et ses chefs dans le monde du 7e art ?

M. D. : Absolument pas. Quand on réalise un film, on doit avoir confiance en ses acteurs, même si ceux-là n’en étaient pas, la confiance était essentielle. Et elle s’est créée naturellement, pendant le voyage. Puis, nous avons été 24 heures sur 24 ensemble. Ils étaient sur écoute quasiment tout le temps, et pour ça, ils avaient besoin d’avoir confiance en moi et de me considérer comme l’un des leurs. Ils n’étaient pas effrayés par le fait que j’entende ou filme certaines choses… C’était un plaisir de travailler avec eux.

 

L : Qu’est-ce que ce film représente pour vous ?

M. D. : Je suis journaliste, c’était mon premier long-métrage… J’avais toujours voulu le faire, mais ça n’était jamais arrivé avant car j’étais trop occupé avec mon autre travail. Je suis très perfectionniste donc je ne dirais pas que je suis fier, mais je suis très heureux. C’était une formidable expérience. Je suis content d’avoir franchi le pas, d’avoir osé vendre ma compagnie pour diriger la réalisation et la production d’un film.

 

L : Quel est le plus gros défi que la réalisation de ce film vous a donné ?

M. D. : La nécessité de trouver un fil conducteur clair a été difficile. Surtout que la cuisine, donnée à voir, est un sujet assez ennuyeux. On voit beaucoup de films où les gens crient, s’agitent, mais en réalité, il ne se passe rien, excepté quelques moments d’action, lorsque par exemple une cuiller tombe !
Cela a donc été mon plus gros défi : raconter une histoire autour de la cuisine, et la rendre intéressante aux yeux du spectateur. J’espère avoir réussi.

Propos recueillis par Marine Rolland Lebrun

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