Adeline Fleury est cette année en lice pour le prix du Premier roman français. Jeune auteure de 37 ans, elle a été reporter pendant quinze ans pour le Journal du Dimanche avant de revenir à ses premiers amours. Depuis deux ans, Adeline Fleury a fait le choix de se consacrer entièrement à l’écriture. Entre romans, essais et piges, l’écrivain trouve également le temps de se glisser dans la peau de personnalités pour raconter leur histoire.
Rien que des mots nous plonge dans un univers empreint d’angoisse et de passion, un monde où littérature et écriture prennent toute la place, au point de devenir une obsession. Peut-être même un danger. Entretien.
Lecthot : Pouvez-vous nous raconter votre dernier roman ?
Adeline Fleury : Rien que des mots, c’est l’histoire d’une famille un peu particulière touchée par une malédiction. Cette malédiction, c’est l’écriture : tout le monde écrit, et il y a beaucoup de folie dans cette famille. Le personnage principal c’est Adèle, la maman. Elle vit dans un monde entièrement littéraire : son père était écrivain, son mari est écrivain. Elle-même est écrivain journaliste. Au début du livre, elle scelle un pacte avec son époux : celui de tenir à l’écart du livre leur enfant à venir, Nino.
L : Vous écrivez l’histoire d’un enfant qu’on prive de lecture. Quelle a été votre source d’inspiration ?
A.F. : Je me suis basée un peu sur mon histoire personnelle pour écrire ce livre, dans un milieu à forte influence littéraire. J’ai un petit garçon de sept ans qui est allé spontanément, naturellement vers les livres. C’est un petit garçon qui aime la littérature sur plusieurs supports, que ce soit le livre papier ou la tablette. Un jour, il est rentré de l’école avec un livre de la bibliothèque verte. Je ne savais même pas que ça existait encore, ça m’a émue !
L : Les livres sont-ils contagieux ? Croyez-vous au bovarysme ?
A.F. : La littérature est contagieuse, c’est peut-être même dans les gênes. La lecture c’est un apprentissage, mais aussi une habitude. Même si dans le livre, j’ai un peu l’air passéiste, je pense que l’on doit prendre en compte ces nouveaux supports de lecture. Il n’y a plus l’unique existence du livre papier, on peut très bien éduquer nos enfants par un double apprentissage de la lecture. Il s’agit juste de trouver un équilibre entre internet et le livre papier.
L : Fénélon disait « heureux ceux qui aiment lire ». Notre société actuelle est-elle heureuse ?
A.F. : Notre société est malade. Est-ce justement à cause de cette révolution numérique qui à la base est une bonne chose ? Car on y trouve des bonnes choses sur internet, mais il faut apprendre à l’utiliser. Il faudrait que les enseignants, notamment au collège, éduquent plus les enfants à cette matière numérique : comment on la gère, comment on démêle le vrai du faux. La société ira mieux quand on sera sorti de ça. C’est une étape à franchir : on doit trouver comment faire face à cette avalanche d’informations qui nous arrive de toutes parts.
L : Pensez-vous que cette révolution numérique peut amener à la disparition du livre ?
A.F. : Non je ne pense pas. En réalité, cela fait des années qu’on nous prédit la disparition du livre, mais je n’y crois pas. Je suis journaliste à la base : la presse écrite, elle, est peut-être vouée à disparaître, mais pas le livre papier. Aux Etats-Unis par exemple, où le livre numérique est quelque chose qui marche bien, une étude l’an dernier a montré une remontée de 6 à 7% des ventes en librairies par rapport à l’année précédente. Si les Américains se remettent à lire, c’est déjà bon signe. Quant à nous, en France, je n’imagine pas le livre papier disparaitre totalement.
L : « Ce n’est pas une malédiction, maman, c’est un don de Dieu que de pouvoir écrire. » : et vous, quel lien entretenez-vous avez l’écriture ?
C’est un rapport à double temps. J’ai toujours écrit, j’ai toujours voulu faire ça. Au début je voulais être journaliste. Mon père est écrivain, et j’avais envie de faire autre chose. Il était un peu comme le père d’Adèle : toujours enfermé dans sa cave en train d’écrire. Je trouvais ça totalement obsessionnel, coupé de la réalité. Moi, j’avais besoin d’une écriture ancrée dans le réel. C’est pour ça que l’écriture d’articles, les reportages, les faits divers… c’était quelque chose qui me convenait mieux. Puis il y a eu un deuxième temps où je me sentais frustrée dans mon métier de journaliste, parce que je ne pouvais pas développer ce côté imaginaire, fictionnel, ce côté un peu artiste qui vivait en moi. C’est une écriture un peu plus libérée qui est née, cathartique, une forme de psychanalyse par l’écrit. J’ai un lien à l’écriture un peu comme avec un amoureux ; un lien amour-haine. Il y a des moments où j’aimerais savoir faire autre chose qu’écrire. Quelque chose de concret, de manuel, pourquoi pas être bonne dans la finance aussi ! Mais on est rattrapé par ce qu’on a en soi. J’ai fait un choix de vie particulier. Il y a deux ans, j’ai quitté mon journal, le Journal Du Dimanche où je travaillais depuis 15 ans, pour ne vivre entièrement que de ma plume. C’est un peu kamikaze, voire suicidaire. Maintenant, l’écriture, c’est mon quotidien. J’écris encore de manière journalistique sous forme de piges, puis des livres à mon nom, et je fais du ghost writer. C’est quelque chose que j’aime bien, me glisser dans la tête des autres, mettre ma plume à contribution pour leur histoire.
L : Qu’est-ce que vous apporte le fait de mettre votre plume à contribution ?
A.F. : Je progresse dans l’écriture à chaque collaboration. Je suis obligée de me glisser dans l’univers d’un autre. Puis on nous demande d’écrire des livres très vite, et ça, ça me donne du souffle, c’est presque automatique. J’aime bien me mettre dans la peau d’un autre : je ne pense pas qu’il y ait de sous écriture.
L : Vous avez aussi récemment écrit Eloge de la jouissance féminine. Quelle a été votre source d’inspiration ?
A.F. : C’est un livre très personnel, même s’il y a une double narration dans le livre. Un « je » qui analyse sous forme d’essai et une autre à la troisième personne qui est mon double littéraire, par des passages plus érotiques. Ce passage à la troisième personne vient d’un journal intime que je tenais lors d’un début de relation avec un homme qui m’a révélée ce que je ne soupçonnais pas en moi. La jouissance, mais pas au sens du simple plaisir. Je pense qu’il y a des degrés dans la jouissance féminine, et quand on a 15 ans, 25 ans, 35 ans… ce n’est pas la même chose. Je parle d’une jouissance plus extatique qui me transforme et qui a eu des répercussions dans ma vie au quotidien. C’est une découverte qui est allée jusqu’à changer la femme que j’étais.
L : Et pourquoi pas celle des hommes ?
A.F. : Je m’intéresse aussi à celle des hommes. D’ailleurs, ce livre les concerne tout autant. J’ai eu beaucoup de retours d’hommes qui m’ont écrit, par lettres ou par les réseaux sociaux, mais pas de manière malsaine, au contraire. Ils me disaient que c’était comme si j’étais parvenue à mettre des mots sur les interrogations qu’ils avaient à propos de ce que leur partenaire ne leur donnait pas en retour. Je me penche aussi, sous forme romanesque, sur la question du désir masculin. C’est un livre qui sera bientôt en librairie.
L : Quels sont vos projets d’écriture ?
A.F. : Je termine une commande sur la féminité et mon rapport au corps, qui sortira bientôt. Cette suite de la jouissance féminine, partant du moment où Adèle et son homme se séparent, serait le revers de la médaille, la passion qui se délite…
Propos recueillis par Charlotte Meyer