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Entretien avec Antoine Bello

Antoine Bello est écrivain.  Son nouveau roman, Ada est paru en aout 2016 aux éditions Gallimard. Ada est une intelligence artificielle singulière. Programmée pour écrire des best-sellers, Ada refuse les ambitions mercantiles qui reposent sur elle. Lorsqu’elle disparaît de son blockhaus de la Silicon Valley, Frank Logan, un vétéran de la police, part à sa poursuite…

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Lecthot : Comment vous est venue l’idée de cette intrigue ?

Antoine Bello : L’idée d’une AI programmée pour écrire des romans remonte à plusieurs années. J’en parle dans Roman américain, où j’imagine un logiciel qui rédige des notices nécrologiques ; puis dans Les porte-parole, une nouvelle que j’ai mise en ligne, dans laquelle un même programme écrit les discours électoraux de deux candidats rivaux. Les autres éléments sont venus progressivement : le fait qu’Ada écrit des romans à l’eau de rose (c’est tellement plus drôle que des romans historiques), son sens de l’humour curieusement scatologique, le flic à l’ancienne archétypal qui pleure la disparition de sa Silicon Valley chérie, etc.

L : Le thème de la création littéraire occupe une place importante dans votre oeuvre. Le traitement de la mise en abyme favorise-t-il l’écriture du roman ? Ce procédé vous apprend-il sur votre propre écriture ? 

A.B. : Je suis très influencé par Borges, notamment par son texte La bibliothèque de Babel qui postule que tous les livres ont déjà été écrits et prennent la poussière quelque part sur une étagère. Je tiens par ailleurs toujours à justifier la raison d’être du livre que le lecteur tient entre ses main. Enquête sur la disparition d’Emilie Brunet est le journal que tient mon détective amnésique pour mener son enquête. Eloge de la pièce manquante est le piège tendu par le meurtrier pour prendre le lecteur sagace dans ses filets, etc. Dans le cas d’Ada, je savais dès le début que le livre devait avoir été écrit par un des protagonistes de l’histoire. Mais lequel ? D’une certaine façon, tout l’enjeu du livre est là.

Je ne sais pas si la mise en abyme m’apprend des choses sur mon écriture. J’aime les constructions étanches, où le hasard n’a pas de place. Tous mes livres sont conçus pour pouvoir être relus.

L : Le matériel (l’AI) et l’immatériel (l’amour) se croisent sans cesse au fil des pages, qu’est-ce qui ressort de cette proximité ?

A.B. : C’est entendu, les AI peuvent compter, raisonner, jouer. Mais pourront-elles un jour créer ? Aimer ? C’est l’ultime frontière. Si l’amour fait perdre la tête, les AI désobéiront-elles à leurs algorithmes si elles sont amoureuses ? Ou, plus probablement, obéiront-elles à d’autres algorithmes conçus pour donner l’illusion qu’elles perdent la tête ? Frank, le flic d’Ada, se dit certain que sa femme Nicole n’est pas un cyborg, car, dit-il, « elle a des sentiments ». « Non, vous croyez qu’elle a des sentiments, nuance, lui répond Ada. Et sur quoi fondez-vous votre opinion ? Sur le fait qu’elle rougit aux plaisanteries grivoises et pleure devant les mélos ? » Sous-entendu : ce n’est pas bien difficile à simuler.

L : Si les lecteurs devaient retenir un unique message, lequel privilégieriez-vous ?

A.B. :  Je n’ai pas de message particulier à faire passer sur l’intelligence artificielle. J’ai toujours pensé que la fonction de l’écrivain n’était pas d’apporter des réponses mais de poser élégamment la question. Pour le reste, je m’en remets à l’intelligence du lecteur.

Cela dit, un autre thème d’Ada rejoint des préoccupations que j’ai déjà exprimées dans la trilogie des Falsificateurs : le fait que tout n’est qu’histoire, que les mots nous servent à donner du sens au chaos qui nous entoure.

L : Si la littérature doit «transfigurer le réel (…) sans le dénaturer » doit-elle ainsi tout dire ? 

A.B. :  A vouloir tout dire, on ne dit rien. On épuise le lecteur avant d’épuiser le réel. La littérature est selon moi un dispositif qui nous aide à réfléchir, au même titre qu’une multitude de perspectives enrichit le regard.

Le livre

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