Eugène Green, cinéaste, écrivain et dramaturge, signe Les voix de la nuit, paru le 5 janvier aux éditions Robert Laffont. Le roman nous parle de nos peurs, du passé et des fantômes à pourfendre pour un présent plus serein. Entretien
Lecthot : Quelle a été votre source d’inspiration ?
Eugène Green : D’une manière générale, le Pays basque, avec lequel je ressens une grande affinité, et dont la culture me fascine. Mais en ce qui concerne la fiction, comme dans le cas de tous mes romans et de tous mes films, son point de départ m’est venu « d’ailleurs », dans un éclair, puis je l’ai laissé se développer tout seul.
L : Quelle est la dimension autobiographique du récit ? L’amitié entre Patxi et Matxi a-t-elle été inventée de toute pièce ou fait-elle appel à des éléments personnels ?
E.G. : Comme tout artiste, mon travail est forcément un reflet de mon expérience, mais l’expérience peut être une promenade dans un paysage, un texte lu, un tableau vu. Je déteste ce qu’on appelle « l’autofiction ». Je crois que la fiction est la façon la plus juste et la plus forte d’exprimer des vérités. Mes fictions sont des œuvres de l’imagination, et je n’ai jamais l’impression de livrer des éléments autobiographiques au premier degré.
L : Que signifient les éléments « surnaturels » présents dans votre récit ? Avez-vous cherché à susciter la peur chez le lecteur ?
E.G. : Pour moi, tout ce que je décris est « naturel », autrement, comment espérer que les lecteurs y croient ? Étant donné qu’on vit dans un monde dominé par la Raison – une abstraction qui n’existe que selon ses propres lois – ce qui contredit la Raison peut faire peur. Mais si par moments le récit suscite un sentiment de peur chez le lecteur, ce n’est pas un effet recherché dans le but de plaire, comme dans les films dits « d’épouvante ». Les manifestations de fantômes dans le récit sont liés à des violences historiques très réelles, et que la Raison tient pour « naturelles ».
L : Qu’est-ce que le passé incarne pour vous ? Est-il salvateur pour le présent ?
E.G. : Le seul temps réel, pour moi, c’est le présent, qui est éternel, mais sans le passé, le présent n’existe pas, et il n’y a pas d’avenir. Les deux héros de mon récit partent dans une quête pour trouver la réalité d’un passé violent qui les hante d’une manière négative. Ils réussissent à l’apaiser, et à le faire entrer dans leur présent comme une énergie féconde. C’est pourquoi, à la fin, ils peuvent envisager sereinement l’avenir.
L : Quel est le principal sentiment que vous aimeriez susciter chez le lecteur ?
E.G. : Peut-être le faire prendre conscience de la nécessité de vivre le présent dans sa plénitude, ce qui veut dire, d’y garder vivants à la fois les éléments positifs du passé commun, et la connaissance instinctive, source de l’intelligence, qu’on possède souvent à l’adolescence.