Frédéric Viguier, auteur de Ressources inhumaines, publie aujourd’hui Aveu de faiblesses (Albin Michel). Le roman nous raconte l’histoire du jeune Yvan, accusé du crime de son petit voisin, dans un bourg désindustrialisé du nord de la France… Un univers glaçant qui n’est pas sans évoquer le cinéma de Bruno Dumont. Entretien.
Lecthot : Quelle a été votre source d’inspiration ?
Frédéric Viguier : Le thème du livre m’est venu de plusieurs faits divers sur des supposés coupables qui avouent un crime au sein d’interrogatoires mettant la personne dans des conditions de fragilité qui vont l’inciter par faiblesse, d’où le titre de mon livre, à avouer un crime qu’elle n’a pas commis. Le fait divers de ce type le plus connu est celui de Patrick Dils qui a fait 15 ans de prison, et a ensuite été reconnu innocent.
L’idée de départ qui m’intéressait était donc le fait d’avouer quelque chose que l’on n’a pas fait.
L : Vous êtes-vous inspiré du cinéma de Bruno Dumont, ou le rapprochement fait entre vos deux univers respectifs est-il un hasard ?
F.V. : C’est un hasard, un rapprochement que l’on a fait. En effet, le cinéma de Bruno Dumont est pittoresque. Il fait jouer des acteurs amateurs, et puis il y a cette ambiance un peu « hors autoroute ». Lorsqu’on me demande si je me suis inspiré d’un coin précis de France, je réponds qu’il suffit de quitter l’autoroute pour le trouver. Dans toute la France il y a des endroits comme celui que décrit mon livre. Je ne me suis donc pas inspiré de Bruno Dumont, mais je suis très content et fier que l’on fasse le lien avec son cinéma.
L : Aviez-vous un message particulier à transmettre dans l’écriture d’Aveu de faiblesses ?
F.V. : Lorsqu’on me pose cette question, je réponds que je ne suis pas postier, je n’ai pas de message à transmette. Je viens du théâtre, et au théâtre une pièce est réussie quand elle a transmis une émotion. Ainsi, si ce livre peut provoquer une émotion, tant mieux. Chacun en fait ensuite son interprétation, mais ce n’est plus mon affaire.
L : On a le sentiment que vous aimez vous amuser avec le lecteur, le manipuler d’une piste à l’autre…
F.V. : Chacun a sa manière d’écrire. En ce qui me concerne, j’écris de manière égoïste. J’écris des livres que j’aimerais lire. J’écris surtout pour m’amuser.
Par ailleurs, je n’ai pas de trame précise lorsque j’écris. La chute du livre est arrivée sans moi presque. Je ne savais pas comment finir le livre au moment où je l’ai démarré, donc je me suis surpris tout seul dans mon histoire.
Il parait qu’un livre à suspense est réussi quand on découvre le coupable à la dernière page, dans mon livre c’est à l’avant dernière.
L : Y a-t-il une piste à privilégier dans les différentes possibilités qu’offre la chute de l’intrigue ?
F.V. : La seule chose intéressante que l’on m’ait dite, c’est qu’une fois le livre fini, on a envie de le relire pour voir à quel moment il y a eu une petite manipulation… Mais il ne faut pas oublier dans tout cela la victime qui est morte.
Quand quelqu’un est reconnu innocent, il n’y en a que pour lui et on oublie les morts. Dans l’histoire de Patrick Dils, deux enfants sont morts et personne n’en parle. Par contre le sujet de son innocence (15 ans de prison à tort) intéresse davantage les médias.
Si l’on veut évoquer une interprétation plus métaphorique : on peut se demander qui est la victime. Depuis que l’homme vit en société, il y a un phénomène de victimisation. Dans la loi de la jungle, le plus faible se débrouille, alors que dans la société, on le protège.
Un jour, j’ai entendu à la radio le père d’un enfant qui avait été malmené dans une école, se réjouir du fait que la justice venait de reconnaitre le statut de victime de son enfant. Je me suis dit en entendant cela : voilà comment ce gamin démarre dans la vie, par le statut de victime… Le livre parle de cela aussi.
Quand quelqu’un est réhabilité après avoir été accusé d’un meurtre, on oublie la vraie victime. De quoi est-on victime lorsqu’on s’accuse d’un meurtre qu’on n’a pas commis ? De son éducation ? De la police ? Il y a plein de thèmes autour de ça. Le titre Aveu de faiblesses se compose de deux mots qui vont bien avec la justice. Qui est le vrai faible ? Est-ce celui qui est mort ? Celui qui a tué ? Celui qui se laisse accuser ?
Voilà pourquoi à la fin du livre les questions demeurent, provoquant l’envie de reprendre le livre pour déterminer qui sont les coupables.
Je laisse le lecteur faire ce qu’il veut de mon livre. Celui qui dit « j’ai compris la solution est là » peut le dire.
La vraie question tourne autour de la victimisation. La vraie violence est-elle psychologique ou physique ? Le faisceau médiatique se place toujours sur une victime. Mais, qui est-elle ? C’est la question….