Julien Suaudeau est écrivain. Il vit aux Etats-Unis où il enseigne le français à l’université. Son nouveau roman, Ni le feu ni la foudre raconte le 13 novembre à travers le portrait de cinq parisiens, cinq victimes ignorant leur sort, dont il décrit la dernière journée, comme une sorte d’exutoire…
Lecthot : Pouvez-vous nous présenter votre roman en quelques mots ?
Julien Suaudeau : Ni le feu ni la foudre raconte les déambulations de cinq « piétons de Paris », le 13 novembre 2015. C’est pour eux le dernier jour comme les autres. Mais, contrairement à nous, ils ne savent pas ce qui va arriver, ils n’ont pas conscience que tout va changer ce soir-là. Le livre s’intéresse à leurs envies, leurs regrets, leurs espoirs, leurs peurs aussi, mais le terrorisme reste à la porte du récit : en racontant l’avant du 13 novembre, je voulais faire de cette journée de mort et de haine une journée d’amour et de vie. C’est ma réponse d’écrivain aux attentats et à la terreur.
L : Dans votre premier roman (Dawa) vous prédisiez des attentats à Paris un vendredi 13…
J.S. : Je n’écris pas pour prédire ni prophétiser : ce n’est pas le travail du romancier. En revanche, j’écris pour raconter mon époque, pour mettre au jour les convulsions et les violences qui y sont encore latentes. C’est ce que j’ai fait dans Dawa, où je voulais mettre en scène la radicalisation de la société française à tous ses étages, pas seulement dans ses soutes, mais aussi au sommet de l’État. La ressemblance entre le scénario du 13 novembre et ce que mon livre racontait m’a heurté, mais elle ne m’a pas surpris.
L : Comment avez-vous construit vos 5 personnages ? D’après quels éléments ?
J.S. : Les cinq personnages de Ni le feu ni la foudre sont fictifs. Comme tout le monde après les attentats du 13, j’ai lu les portraits, le mémorial, mais je n’ai pas fait de démarche spécifique pour me documenter sur tel ou tel individu. Parler, en fiction, à la place des victimes, ce serait pour moi quelque chose d’obscène. Mes personnages ne sont pas des victimes et le roman s’achève alors que les attaques n’ont pas encore commencé : la littérature doit rester souveraine, sans quoi les terroristes qui veulent nous confisquer le réel ont gagné.
L : Quelle est la vocation de ce récit ?
J.S. : Pour moi, il s’agit de ne pas abandonner le terrain à la terreur et à la mort. Célébrer la vie et Paris, ma ville, que j’aime et qui me manque depuis que je l’ai quittée il y a dix ans. Et puis, peut-être, y retrouver une forme de présence, être à Paris par la magie du roman et des pensées de mes personnages. Je n’aurais pas écrit mes livres si j’étais resté en France. J’en aurais écrit d’autres, mais pas ceux-là, qui peuvent tous se lire comme le retour au pays mental d’un exilé.
L : Comment avez-vous vécu vous-même cette soirée du 13 novembre ?
J.S. : De loin. Mal. D’autant plus mal que j’étais loin. Le désir d’être à Paris et le regret que ce soit chose impossible n’ont jamais été si forts que ce soir-là.
L : Si les lecteurs devaient retenir un message principal…
J.S. : Je n’aime pas trop l’idée de message s’agissant des arts en général et de la littérature en particulier. Mais s’il en faut un pour ce livre, c’est que nous avons le devoir de vivre aussi vite et fort que possible, parce que toutes les choses s’en vont vers leur fin.