Sebastien Courivaud est photographe. Son travail se focalise sur la société et les peurs. C’est ainsi qu’il prend part au projet « N’ayez pas peur » traitant des angoisses présentes dans la société, comme la peur du handicap. L’exposition a été présentée lors de l’ouverture de la CNH 2014 (Conférence Nationale du Handicap).
Plus que de regarder, permettre aux yeux de voir le monde à travers ses clichés, telle est la vocation de Sébastien Courivaud.
Lecthot : Comment décririez-vous vos photos ?
Sébastien Courivaud : Elles me semblent à la fois poétiques et réalistes. Elles traduisent finalement assez bien ma manière d’être au monde et de l’observer.
L : Quel est selon vous le rôle de la photographie ?
S.B. : L’accès aux images, aux vidéos et aux informations est aujourd’hui instantané, sans limites et infini. Nos sociétés consomment de plus en plus vite et abondamment. Cette profusion sans limites laisse peu d’espace pour prendre du recul, analyser et « digérer ». La photographie offre la possibilité de s’arrêter un instant. Elle permet de raconter, d’informer, de faire évoluer les consciences dans un temps plus étiré pour la réflexion et le ressenti.
L : Quelles ont été les étapes les plus importantes dans votre apprentissage de la photographie ?
S.B. : Ce fut paradoxalement le début. J’ai commencé à prendre des photos avec un petit Lumix, plusieurs jours d’affilée dans un village. Sans savoir pour quelle raison, mon regard s’est arrêté sur les postures des gens croisés dans la rue. Les visages m’importaient peu, je m’attachais aux corps et à ce qu’ils racontaient. Bien plus tard, j’ai réalisé un reportage dans les cadre des hôpitaux de Paris au cours duquel je suivais les blouses blanches. Les photos issues de ce reportage montrent les blouses blanches dans leur quotidien à travers leurs gestes : elles retranscrivent l’écoute du corps médical à travers les postures des êtres, sans jamais pourtant dévoiler les visages. Je me suis rendu compte que ma première inspiration des débuts correspondait bien à ce que je voulais raconter et la façon dont je voulais raconter. C’est l’un des fondamentaux du sens que je prête à la photo. Prendre le temps d’observer ce qui d’emblée ne se remarque pas forcément et qui est en définitive plus fort que ce qui saute aux yeux.
La deuxième étape fut la réalisation de photos dans le cadre d’un reportage sur les peurs dans la société. Il s’agissait de rencontrer des personnes handicapées pour essayer de faire tomber les préjugés et les peurs, en les photographiant. Là encore, mais d’une autre manière, la photo était le moyen d’aller au-delà des évidences pour révéler ce qui importe vraiment, c’est à dire la personne et non sa simple apparence. Pour ces photos je me suis attaché, contrairement au reportage précédent, aux regards des personnes rencontrées. Je pense avoir réussi à capter la personnalité et l’extrême sensibilité de ces personnes, à travers les regards.
La dernière étape concerne un tout autre domaine. Des commandes m’ont été faites de plus en plus souvent pour photographier des matières, des objets et des lieux. Ce travail a été l’occasion d’approfondir la technique et d’appliquer un conseil qui m’avait été donné au tout début : utiliser la lumière naturelle et suivre ce qu’elle propose. C’est un pan de la photo plus artisanal, qui demande également de creuser. La précision du travail et cet aspect de « fabrication » me plaisent beaucoup.
L : Vous sentez-vous parfois investi de la mission de « réparer » le monde en le montrant ?
S.B. : Le terme de « mission » semble bien ambitieux ! J’ai cependant la volonté de partager mon point de vue, d’être le témoin de mon époque et plus généralement de permettre de voir. De même que pour un son on peut entendre et écouter, avec les images on peut regarder et voir !
L : Quels sont les sujets qui vous intéressent le plus ?
S.B. : Les échanges entre les personnes, les corps et les visages ; ce qu’ils montrent de la vie traversée. En ce qui concerne les éléments, j’aime les brumes.
L : Si vous deviez choisir une seule photographie pour représenter votre travail ?
S.B. : Le portrait d’une personne handicapée qui a une élocution très difficile et se déplace en fauteuil roulant. Son regard clair vers le haut est plus éloquent que les mots !