Pierre Ducrozet est un jeune auteur français, né en 1982 à Lyon. Après un parcours littéraire varié (chroniqueur littéraire, professeur de français à Barcelone, traducteur et collaborateur de la Société Européenne des auteurs), il consacre à présent sa vie à l’écriture.
Son dernier roman, Eroica, est une biographie romancée du peintre Jean Michel Basquiat. Interview.
Lecthot : Eroïca en quelques mots…
Pierre Ducrozet : Eroica raconte la vie mouvementée de Jean Michel Basquiat, peintre new-yorkais de la fin du XXe siècle. J’avais envie de me laisser emporter par sa peinture, de voir ce que ça pouvait faire dans l’écriture. En fait, l’idée était de construire un roman comme il le faisait avec une toile ; quelque chose d’éclaté, de composé, et pourtant d’équilibré. On ne peut pas vraiment parler de biographie, mais plutôt de fiction à partir d’un matériel réel. Si tout est sourcé, j’ai préféré l’oublier au moment où j’écrivais. Pour faire plus court, Eroica est sa vie reconstruite, renouvelée ; et pas seulement sa vie à lui mais celle de New York et de la peinture. C’est l’histoire d’un gars qui rêve d’être un héros.
L : Pourquoi avez-vous choisi le personnage de Jean-Michel Basquiat ?
P.D. : Je voulais m’attaquer à une vie en particulier et, en réalité, je n’aurais pas pu faire un livre sur quelqu’un d’autre. J’ai toujours eu une passion pour la peinture, mais j’entretiens un rapport différent avec celle de Jean-Michel Basquiat, dont l’oeuvre et le parcours m’accompagnent depuis longtemps. Evidemment, ce choix n’est pas gratuit : je voulais prendre de son énergie, voler un peu de sa technique, faire basculer tout ça sur des mots. Le style de Jean-Michel Basquiat rejaillit sur l’écriture ; ce n’est pas nerveux, mais c’est son mouvement à lui, son mouvement de peintre, un peu fou, éclaté. Il y a quelques temps déjà que cette idée me tenait à cœur, elle était d’ailleurs en germe dans mes premiers romans. En quelque sorte, Eroiica la concrétise. Le héros dont rêvent les personnages de mon deuxième roman, la vie qu’on voulait, c’est un peu lui
L : D’une manière plus générale, qu’est-ce qui vous inspire au quotidien ?
P.D. : Le côté intense des choses ; à la fois tout et rien.
Je pense que le rôle de l’écrivain est d’être disponible à tout ce qui peut arriver : à ce qu’il peut voir le matin, le soir, en voyage, mais aussi du côté de la musique, du cinéma. Et en même temps, tout ce qu’il voit est filtré par ses propres obsessions. Dans mon cas, ce qui m’anime le plus, c’est le thème de l’urgence, un désir d’intensité, de vitalité. Le thème du corps revient aussi souvent, plus particulièrement dans mon dernier roman. Voyager aussi est important : dans ces moments là, on est entièrement disponible alors que dans le quotidien, on est plutôt fermé.
Et puis, je trouve aussi beaucoup d’inspiration dans les arts, que ce soit la peinture, la photo, les films… Il faut faire circuler les arts. C’est d’ailleurs ce que je raconte dans Eroïca : quand il travaille, Jean- Michel Basquiat a constamment ses livres ouverts, le son de la radio, de la musique, la télévision, les gens qui parlent autour… Il y a toujours quelque chose qui circule.
Ce que je fais depuis Eroica, et que je ne faisais pas forcément avant, c’est de me documenter. Mais je m’en détache facilement : mon but n’est pas de faire un roman réaliste avec des descriptions exhaustives. Je trouve une source, mais j’en fais ma sauce.
L : Qui est-ce qui vous a donné envie d’écrire ?
P.D. : Tout un faisceau de gens. Le moment décisif, ça a surtout été autour de mes 15-16 ans, avec la découverte d’auteurs comme Céline, Cendrars, Kerouac, ou encore Dostoïevski et Cortázar. Des livres où l’écriture jaillit, des flots incroyables. A partir de là, j’ai commencé à écrire des nouvelles, puis je me suis lancé dans les romans. Maintenant, je me rends compte que je lis beaucoup moins d’œuvres décisives que dans ce temps-là. Je lis plus des morceaux de livres, je vais chercher des bouts de technique, des manières de faire, un peu comme on le ferait dans une boîte à outils. Il y a des livres qui m’ont marqué, mais maintenant c’est à moi de trouver ce que je veux écrire. Puis la lecture, il faut faire attention ; on peut se laisser contaminer.
L : Pensez-vous que la littérature peut aider le monde ?
P.D. : Il y a plusieurs manières de répondre à cette question. Si on est optimiste, on pourrait dire qu’elle le fait constamment mais que le monde l’ignore ; il a d’autres choses à faire. Elle le sauve parce qu’elle le met en forme, lui qui est tellement incompréhensible et où rien n’a de sens. Et le fait de lui redonner un sens, c’est le sauver de l’absurde et du chaos. Mais si on est plus pessimiste, ou plus lucide, on pourrait dire qu’au fond, la littérature, ce n’est rien. Elle sauve peut-être quelques lecteurs, quelques écrivains, pas grand-monde. C’est même dangereux : la littérature, on peut y laisser sa peau. C’est une sorte de guerre que l’écrivain mène contre le chaos.
Donc oui, d’une certaine manière, la littérature sauve le monde. Elle s’y confronte, c’est même sanglant. On n’écrit pas que des livres pour raconter une histoire, c’est quelque chose de bien plus puissant qu’on ne devrait pas laisser s’appauvrir. C’est quelque chose d’abrasif qu’on ne devrait pas prendre à la légère : on doit être conscient qu’elle est potentiellement puissante ; ce n’est pas anodin si on a des écrivains en prison.
L : Comment menez-vous votre vie au quotidien avec l’écriture ?
P.D. : En réalité, j’ai toujours voulu écrire. J’ai été étudiant en sciences politiques, puis en lettres, et ça ne me plaisait pas tant que ça. Même si je suis passé par des étapes comme le journalisme ou l’édition, je savais que ce que je voulais faire, c’était écrire des livres. Et un jour je me suis dit que c’était possible, de mener la vie et l’écriture de front. Aujourd’hui, ça fait cinq ans que je ne fais qu’écrire.
Rien que ce mode de vie est important pour moi : une vie sans horaire, sans lieu défini, sans bureau. D’ailleurs, je dirais que c’est un peu le cas de tous les écrivains ; l’écriture, c’est bien sûr essentiel, mais le mode de vie qu’elle implique aussi. Et dans mon cas, je le vis comme une chance de pouvoir m’y consacrer toute la journée. On est parfois dans le discours de la souffrance de l’écrivain, or c’est quelque chose d’agréable. Bien sûr, il y a des jours où on s’énerve, des jours où c’est mauvais, où il faut tout recommencer. Mais il y a des métiers physiquement douloureux, et là ce n’est pas le cas. La plupart du temps, c’est du labeur, de l’artisanat, du travail de fond. C’est la même chose que construire une maison : on travaille une matière, il faut être précautionneux.
L : Quelques mots sur votre prochain livre…
P.D. : En quelques mots, c’est un livre autour du XXIe siècle ; un livre qui parle du corps, de l’histoire d’Internet et de la Silicon Valley.
Propos recueillis par Charlotte Meyer