Stanislas Roquette est comédien, metteur en scène et enseignant à Sciences-Po Paris pour des ateliers de prise de parole en public et de pratique théâtrale.
Lecthot : Etre comédien, était-ce un rêve ? Qu’est-ce qui vous a poussé à suivre cette voie ?
Stanislas Roquette : L’appel des planches a été assez tardif pour moi : je le dois à Corinne Descote, une comédienne qui venait donner des ateliers de théâtre au Lycée du Parc à Lyon, et qui nous transmettait sa passion et son exigence. Il me semble que ce sont toujours des rencontres qui permettent aux désirs de se réaliser.
L : Qu’est-ce qui vous inspire au quotidien dans votre jeu ?
S.R.: L’observation des gens, mes conflits intérieurs, et les grands textes.
L : Jouer, est-ce être quelqu’un d’autre ou se trouver soi-même ?
S.R.: Tout dépend ce que l’on a à jouer, mais je pense qu’il s’agit avant tout de se trouver soi-même, pour y découvrir l’autre qui y réside.
L : De tous les personnages que vous avez joués, lequel vous a le plus marqué ?
S.R.: Antonin Artaud, dans Artaud-Barrault, mise en scène de Denis Guénoun.
L : Qui rêveriez-vous d’interpréter ?
S.R.: Le neveu de rameau de Diderot, Iago dans Othello de Shakespeare, Peer Gynt d’Ibsen, Platonov de Tchekhov, Alceste dans Le Misanthrope de Molière, Alidor dans La place royale de Corneille, Mesa dans Partage de midi ou Cébès dans Tête d’or de Paul Claudel, Louis dans Le pays lointain de Jean-Luc Lagarce… Je m’arrête là mais la liste n’est pas exhaustive !
L : Quel est le pouvoir de la poésie, des mots en général, sur notre monde ?
S.R.:Pour répondre à cette question si ambitieuse, je laisse la parole à Jean-Pierre Siméon, qui dans son ouvrage La poésie sauvera le monde, nous dit que « la poésie illimite le réel : elle rend justice à sa profondeur insolvable, à la prolifération infinie des sens qu’il recèle. » Je comprends dans cette phrase que la poésie éveille les consciences et les corps au monde tel qu’il est en réalité, et non tel que l’ordre économique de nos sociétés nous le laissent entrevoir. « La poésie est la perpétuelle insurrection de la conscience contre l’oubli que l’homme fait de lui-même dans sa marche hâtive », nous dit encore Jean-Pierre Siméon.
L : Qu’est-ce que vous apporte le théâtre au quotidien ?
S.R.: Du sens, de la joie, et un moyen de choisir sans cesse la vie.
L : Pouvez-vous nous parler des Epiphanies, la création à laquelle vous avez pris part cette année ?
S.R.: Il s’agit d’un poème dramatique flamboyant, écrit par Henri Pichette en 1947, et joué à sa création par Maria Casarès, Gérard Philipe et Roger Blin. C’est un face à face entre le Poète et Monsieur Diable, un dialogue métaphysique dans un langage poétique truculent et foisonnant. Cet ovni théâtral a été mis en scène par Pauline Masson ; je l’ai joué avec Elodie Huber et Gabriel Dufay au Théâtre Jean Vilar de Suresnes dirigé par Olivier Meyer, qui a pris le risque de produire cette création ambitieuse.
L : On entend souvent dire aujourd’hui que la jeunesse se détourne de plus en plus de l’art. Qu’en pensez-vous ?
S.R.: J’interviens régulièrement dans des collèges et lycées (à Paris et en province), ainsi que dans des universités (Sciences-Po, Paris-Dauphine), et je constate souvent l’inverse. La vérité, c’est que l’Etat doit soutenir une politique d’éducation artistique plus énergique, et qu’il doit défendre les filières littéraires menacées par le diktat du marché de l’emploi.
L : Antoine de Saint Exupéry a dit « on ne peut plus vivre sans poésie, couleur ni amour». Avec l’extension d’internet, la place de la technologie qui tend à l’individualisme, notre société ne serait-elle pas à l’opposé de cette image ?
S.R.: Là encore, je ne suis pas d’accord, et je pense qu’il est un peu confortable de baigner dans ce pessimisme. La révolution technologique et numérique de notre monde est irréversible, prenons-en acte, et faisons du devenir technique un avenir social, ainsi que le préconise Bernard Stiegler, en transformant nos pulsions en désirs. Cela suppose une éducation, que là encore la puissance publique devrait assumer davantage, même si elle ne doit pas être la seule. Personnellement, pour répondre à votre question, j’ai l’impression de voir chaque jour des petites actions humaines qui sont imprégnées de poésie, de couleur et d’amour. Il nous faut les débusquer, les partager, et en élargir la visibilité pour que des actions à grande échelle puissent ensuite avoir lieu.
Propos recueillis par Charlotte Meyer