Juillet 1995 : 8000 civils bosniaques musulmans sont assassinés par des soldats serbes dans la région de Srebrenica. Un crime considéré comme le pire massacre commis en Europe depuis la fin de La Seconde Guerre Mondiale. Dražen Erdemovic est l’unique militaire à avoir reconnu sa participation au massacre. Il sera jugé et condamné par le Tribunal pénal international.
Le roman de Marco Magini, Comme si j’étais seul, interroge l’innocence de Dražen, un homme contraint à l’inhumanité… Entretien.
Lecthot : La guerre de Yougoslavie est peu évoquée dans la littérature. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur ce sujet ?
Marco Magini : J’étais intéressé par l’histoire de Drazen Erdemovic, un jeune soldat impliqué dans le massacre de Srebrenica. Dans le contexte de la guerre, où la normalité est renversée, Drazen est le seul à demeurer humain, refusant de suivre les ordres. Il est poussé à prendre une décision impossible : tuer ou être tué.
L : Vous avez choisi de laisser la parole à trois personnages. Qu’est-ce qui a guidé votre choix ?
M.M. : Comme je le disais, mon intérêt est né le jour où j’ai appris l’histoire de Drazen Erdemovic. Je me suis ensuite intéressé à l’histoire de son procès à la Haye. C’était une question intéressante et pour moi sans réponse : la mort était-elle la seule solution pour rester innocent ?
J’ai travaillé sur les deux personnages pendant deux ans, puis j’ai réalisé qu’il manquait encore quelque chose dans la narration. Il manquait l’Europe et nous qui savions tout mais qui n’avions encore rien fait. C’est pour cela que, dans un second temps, j’ai ajouté l’histoire de Dirk, le Casque bleu néérlandais, un jeune homme envoyé dans une guerre qu’il ne comprenait pas.
L : « Le poing bien fermé, la Justice était pour eux une déesse impitoyable, sans bandeau d’aucune sorte. » Quelle est votre vision de la justice ?
M.M. : Une des raisons pour laquelle j’ai décidé d’écrire un roman plutôt qu’un essai c’est justement parce que je n’avais pas de réponse à ces questions. Le roman est un moyen de poser ces questions d’une façon plus complexe en donnant tous les éléments au lecteur pour trouver ces réponses…
L : Votre livre explore les sentiments humains, parfois avec violence, notamment à travers le viol. Quel message vouliez-vous communiquer ?
M.M. : J’ai fait beaucoup de recherches pour ce livre et, avec tous les éléments collectés j’avais peur d’un résultat pornographique. Je ne voulais pas montrer la guerre comme quelque chose d’irréel, d’une façon stérile. C’est pour ça que j’ai décidé d’ajouter des histoires comme le viol ou le vieillard, qui sont basées sur des faits réels. Je n’avais aucun message, je voulais seulement montrer la réalité sur le terrain.
L : « La guerre inverse l’idée de bonheur». Pouvez-vous développer cette idée ?
M.M. : La guerre crée une nouvelle réalité avec des règles différentes de celles de la vie quotidienne. Dans ce contexte, même l’ennui peut représenter quelque chose de positif. C’est pourquoi de nombreux écrivains ont écrit sur ce sujet, parce que la guerre montre l’humanité sans filtres et sans compromis.
L : Le chapitre sur la fusillade à la fin de la guerre est particulièrement fort. Sur quoi vous êtes-vous appuyé pour parler de la psychologie de votre personnage ?
M.M. : J’ai eu de grandes difficultés à l’écrire, surtout parce qu’il était le résultat d’une longue recherche historique sur des documents vrais et sombres. Les documents qui m’ont le plus aidé pour décrire la psychologie des personnages sont les documents du procès de Drazen Erdemovic, surtout les témoignages.
L : « La justice des hommes peut-elle exister ? » Qu’en pensez-vous ?
M.M. : Je ne sais pas. Je commence à penser que la justice peut exister uniquement d’une manière abstraite.
L : Finalement, le titre « comme si j’étais seul » renvoie-t-il à un personnage en particulier ou désigne-t-il les trois figures dominantes ?
M.M. : Le roman parle de trois solitudes : la solitude du protagoniste, Drazen, tiraillé par un dilemme trop lourd pour lui ; la solitude de Dirk, le casque bleu hollandais, parachuté dans une guerre qu’il ne comprend pas ; et la solitude du juge Romeo Gonzalez, qui prend une décision en écoutant surtout sa subjectivité.
L : L’écriture a-t-elle selon vous un rôle à jouer dans la mémoire ?
M.M. : L’écriture est un moyen puissant de créer l’empathie. C’est une expérience totalisante qui transporte le lecteur dans des vies et expériences lointaines. En même temps, elle aide aussi à comprendre. Et comprendre est fondamental pour ne pas oublier.
L : Quels sont vos projets d’écriture ?
M.M. : Pour le moment j’ai des difficultés à m’imaginer écrire un second roman.
Propos recueillis par Charlotte Meyer