Kidi Bebey, journaliste, auteure et éditrice, grandit à Paris dans un univers culturel fort, entre la musique et l’écriture notamment, avec son père, Francis Bebey, journaliste, écrivain et musicien renommé.
Après plusieurs années consacrées à l’édition jeunesse (rédactrice en chef de Planète Jeune), puis à l’animation et la production de l’émission Reines d’Afrique sur Radio France Internationale, Kidi Bebey devient chroniqueuse sur France Culture, avant de se consacrer entièrement à l’écriture. En 2016, elle publie son premier roman : Mon royaume pour une guitare, un livre retraçant son histoire familiale et le destin fabuleux d’une famille dont le père va transcender les difficultés du grand départ et laisser sa passion pour la musique bouleverser sa vie.
Lecthot : Pourquoi avoir choisi de retracer le parcours de votre père ?
Kidi Bebey : Parce que sa personnalité d’artiste et d’auteur a laissé une trace auprès de pas mal de gens, à travers le monde. Bien qu’il soit mort depuis une quinzaine d’années, on ne cesse de me parler de lui à l’occasion : des personnes me racontent un récital auquel elles ont pu assister, une dictée qu’elle ont eue, une poésie apprise, des disques sont réédités… J’avais envie de raconter ma part à moi de sa personnalité, vue de l’intérieur de la famille. En outre, mon père appartenait à une génération dont on a peu de représentations en France : l’une des générations initiales de ces Africains qui avaient quitté leur pays sous régime colonial pour faire des études en tant que boursiers, en France… et qui ne sont pas repartis dans leur pays. En dehors de l’équipe camerounaise de football, les Lions indomptables ou bien de Yannick Noah, le grand public sait peu de choses du Cameroun. Peu de gens savent qu’il y a un lien historique de longue date entre le Cameroun et la France…
L : Votre récit est-il entièrement autobiographique ou avez-vous laissé une part au roman ?
K.B. : C’est avant tout un roman. Je dirais que ce sont les histoires que je me raconte sur la vie de mes parents, les clés d’explication que j’imagine, faute d’avoir parlé de tout cela avec eux. Dès la première scène d’ailleurs, je passe un pacte éditorial avec le lecteur en lui proposant une légende, créée de toutes pièces, sur l’arrivée de la guitare dans ma famille. Il y a des éléments de réel bien sûr, mais bien mélangés avec les inventions. D’ailleurs nous sommes cinq enfants et je suis certaine que mes frères et sœur ne raconteraient pas les choses comme moi.
L : « Quand je serai grand, je serai blanc moi aussi. » C’est un symbole très fort. Qu’est-ce que cela vous inspire aujourd’hui ?
K.B. : J’ai imaginé que mon père pouvait se dire cela petit. Il ne s’agit pas de la couleur de peau – j’ai fait exprès de le dire comme ça, parce que l’effet est saisissant et humoristique – mais derrière une telle déclaration enfantine, il y a l’idée du pouvoir. Petit, mon père voyait des Européens qui incarnaient le pouvoir puisqu’ils géraient les affaires du Cameroun et administraient le pays à leur guise. Quand on est enfant, on ne fait pas forcément attention à la couleur de la peau, mais aux signes de pouvoir et on veut devenir comme celui qui l’a pour pouvoir donner des ordres aux autres pendant que l’on se pavane. J’ai un neveu qui, quand il était petit, répondait qu’il voulait « être allemand » plus tard… Il avait vu que les Allemands donnaient des ordres dans les films… de guerre. Il était trop petit pour comprendre que ces Allemands-là étaient des nazis…
L : Vous parlez également de l’honneur de la famille, au travers de l’école notamment. Est-ce quelque chose qui vous a marquée durant votre enfance ?
K.B. : Oui. Dans la mesure où l’on est entraîné depuis des centaines d’années à considérer que la couleur de la peau a de l’importance, je ne pouvais pas passer inaperçue à l’école. Je devais donc, en tant que fille d’étrangers, m’y comporter au mieux, avoir les meilleures notes… Il en allait de l’honneur de la famille.
L : Comment a évolué votre lien à la France et au Cameroun ?
K.B. : Je me sens tour à tour française et camerounaise, selon les circonstances, les personnes avec lesquelles je me trouve… C’est très sentimental en fait… et finalement pas si important. Je crois que l’on a tous des identités multiples (je suis aussi parisienne, maman, sœur, amie, femme, auteure, en forme ou fatiguée etc.) et que ces identités ne se limitent pas à des nationalités ou à des papiers administratifs.
L : Durant votre enfance vous parliez français sans oublier le douala et vos proches camerounais. Comment avez-vous vécu le fait de grandir entre deux cultures ?
K.B. : Je n’ai pas grandi entre deux cultures mais avec deux cultures, enrichie par leurs différents apports.
L : Avez-vous hérité de la passion de l’art telle que vous la décrivez chez votre père ?
K.B. : J’imagine qu’il n’est pas indifférent que je me consacre à l’écriture désormais. J’ai toujours aimé la posture des créateurs, à la recherche d’une chose qu’ils ne savent même pas forcément nommer, comme s’ils avançaient dans une grotte, avec une petite lampe, sans voir le fond…
L : « Il faudra que je me mette à rédiger ce texte pour donner enfin un sens au souvenir de ces cris.» L’écriture est-elle nécessaire pour vous ?
K.B. : C’est très simple : je vis de ma plume. Elle représente donc à la fois une nécessité personnelle, que je m’efforce de traduire à travers des projets que personne ne me demande et une activité rémunératrice que je déploie à travers des « novelisations », des réponses à des commandes, de l’édition (j’ai créé une collection d’albums documentaires, « Lucy », aux éditions Cauris Livres), des ateliers d’écriture…
L : Votre titre renvoie à un élément furtif mais symbolique dans la vie de votre père, celui où son grand frère lui offre une guitare. Pourquoi l’avoir choisi comme titre ?
K.B. : J’ai repris la citation de Shakespeare, « My kingdom for a horse » que l’on trouve à la fin de Richard III. Sauf que là, la fin de la bataille est celle que mène mon père contre lui-même : il décide qu’il est prêt à tout donner pour la musique. Il a fait le choix assez original et audacieux de laisser tomber une carrière « chic » de fonctionnaire international pour se consacrer à la musique… Ce titre ouvre une réflexion : quels choix souhaite-t-on faire dans sa vie ? Poursuivre ses rêves et ses passions, quitte à prendre des risques ou au contraire préférer une vie douillette au risque de se perdre soi ? Quelle vie souhaite-t-on (et ose-t-on) vivre ?
L : Vous écrivez : « Le monde des adultes m’évoque de plus en plus une route sinueuse de montagnes, au bord d’un précipice.» Et maintenant ?
K.B. : J’ai grandi, mûri, je suis membre depuis longtemps du monde des adultes. La route demeure sinueuse, mais je me sens plus armée.
L : Quels sont vos prochains projets d’écriture ?
K.B. : Toujours des livres pour la jeunesse et un autre roman en littérature générale. Mais chut ! Les ingrédients sont seulement en train de mijoter…
Propos recueillis par Charlotte Meyer