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Entretien avec Stephan Streker

Avec Noces, Stephan Streker tire fort, et frappe dans le mille. La mise en scène saisissante, magistrale et poignante ne vous laisse pas indemne. Le cinéaste belge réalise ici son troisième long métrage, au cinéma le 22 février 2017. Entretien.

 

Lecthot : Vos films précédents n’avaient aucun lien avec les us et coutumes du monde oriental. Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser Noces ?

Stephan Streker : L’histoire sans aucun doute. Elle m’a fasciné. Ce qui m’intéressait, c’était cette tragédie intrafamiliale, se rapprochant indubitablement de la tragédie grecque. Les membres d’une même famille s’aiment, mais se déchirent. Puis, il y a l’aspect belgo-pakistanais évidemment. Je me devais d’ailleurs d’être irréprochable à ce niveau-là, et la reproduction cinématographique ne pouvait pas comporter d’erreurs. Mais ce qui m’intéressait réellement, c’était la façon de filmer cette histoire. Je voulais que le spectateur connaisse le point de vue de chaque protagoniste. Jean Renoir disait : dans mes films, il n’y a pas de méchants. Je crois fort en cela. Prenons un fait divers comme celui-ci. La lecture est assez évidente, mais lorsqu’on creuse, l’histoire est exceptionnelle. Et chacun a ses raisons.

L : Justement, vous disiez devoir être « irréprochable ». De quelle manière vous y êtes-vous pris pour cerner la culture pakistanaise dans son ensemble, et nous en offrir une sorte de copier-coller ?

S.S. : J’ai longuement enquêté et rencontré beaucoup de gens issus de cette communauté. Sur le plateau, on avait aussi en permanence une jeune femme pakistanaise pour nous guider. Au-delà des choses évidentes, comme les décors ou les costumes, il fallait savoir comment une fille s’adressait à son père, à sa mère… Le but était d’être le plus précis possible. Mais vous savez, je pense que ce qui nous unit est plus important que ce qui nous différencie. Il y a beaucoup de choses qui se comprennent instantanément, les sentiments humains par exemple, sont universels.

 

L : Avez-vous eu une certaine appréhension, en abordant un sujet aussi sensible que le mariage forcé ?

S.S. : Non, pas tellement. Je pense qu’il est important de raconter les choses. Le jugement moral appartient à chacun des spectateurs. Ce qui est certain, c’est qu’au vu des éléments récents, le film a pris une dimension différente. Cela ne m’a pas cependant pas tellement influencé. Je pense qu’à partir du moment où l’on réalise un geste artistique, il y a d’office une dimension politique, au sens premier du terme. C’est-à-dire, l’organisation de la vie en société. C’est inévitable. Mais je n’ai pas de crainte, car l’interprétation dépend du spectateur, c’est son travail. Moi je raconte une histoire et apporte un point de vue, là s’arrête ma participation.

L : Il y a une scène assez incroyable, où Zahira se marie sur Skype. Les imams sont-ils d’accord avec ce procédé ?   

S-S : C’est les Imans eux-mêmes qui organisent ce genre de cérémonie. Cinématographiquement, c’est inédit. Mais dans la réalité, cela arrive régulièrement. D’ailleurs, c’est une des parties du film qui s’approche le plus de la réalité. Aujourd’hui, le numérique a littéralement envahi nos vies. Tout le monde a un smartphone pour filmer. J’ai donc eu l’occasion de découvrir l’une de ces cérémonies. Dès lors, je n’avais qu’à reproduire un mariage tel quel. La tâche était simple, certes, mais ça donne une scène cinématographique très forte.

 

L : Dans votre film, il y constamment une balance entre le pour et le contre. On a l’impression que vous constatez les faits mais sans les dénoncer. N’est-ce pas aussi une volonté de votre part d’éviter toute polémique ?

S.S. : Non, pas du tout. C’est plutôt une volonté de ma part de laisser au spectateur sa liberté de penser, et de juger. Personnellement, je pense qu’un film qui impose sa façon de voir les choses n’est pas digne d’être montré. En revanche, un film qui montre, de par le point de vue d’un artiste très affirmé, mais qui laisse au spectateur le soin de se faire son propre jugement moral, est beaucoup plus intéressant. Si par exemple, des personnes viennent voir un film et ressortent avec des questions, c’est amplement plus fructueux que s’ils ressortent avec des réponses. Si le film leur permet de s’interroger, je pense que c’est gagné.

 

L : L’une des scènes du film montre Zahira, avec un camarade de classe, déclamant les vers d’une tragédie grecque. Est-ce un clin d’œil au spectateur ?

S.S. : Evidemment. La pièce de théâtre dont il est question est Antigone. Et Antigone, c’est la femme qui dit non. Zahira est la Antigone du XXIe siècle. La tragédie grecque est une mise en spectacle d’une situation qui est montrée, et pour certain dénoncée. Un classique grec d’aujourd’hui raconterait l’histoire de Zahira. Donc oui c’est un clin d’œil. Zahira est une héroïne. J’irais même plus loin, en la qualifiant d’exemple. Un autre des éléments fondamentaux de la tragédie est que le mal vient par le dessus. C’est la situation qui est monstrueuse, et non les personnages. Zahira n’est pas victime de monstres, mais de situations monstrueuses.

L : Quel sentiment aimeriez-vous susciter chez le spectateur avec Noces ?  

S.S. : Le film suscite plus de réactions que je ne l’aurai pensé. Il y a une émotion profonde évidemment, mais à ce point… c’est incroyable. Dans tous les festivals où je me suis rendu, sans exceptions, des femmes en larmes qui sont venues discuter avec moi. Cela confirme à bien des égards, toute la puissance évocatrice du cinéma.

Propos recueillis par Tristan Poirel

 

 

 

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