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Charlie Hebdo : Les lauréats du Prix littéraire

Ce Mercredi 8 Juin, le prix Charlie Hebdo a récompensé trois jeunes auteures par le vote des internautes à partir d’une liste de 10 textes. Le journal satirique a lancé cette année ce concours récompensant un texte qui répond au thème suivant : « Et si on remplaçait le Bac par… ».
Avec plus de 1300 textes de collégiens, lycéens ou étudiants, âgés de 12 à 22 ans, le prix a connu un tel succès que la seconde édition est d’ores et déjà programmée. Après les attentats du 7 Janvier, Charlie Hebdo relève la tête et repart au combat le crayon au fusil avec aujourd’hui dans ses rangs toute une jeune génération de pacifistes soldats.

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Nouveaux héritiers de Rabelais et Desproges, Charlie Hebdo a couronné la folie, l’irrévérence et l’originalité. Contre les « cours de français castrateurs », les lauréates ont été Enora Frigout (15 ans), Aurélie Liot (17 ans) et Alice Petit (18 ans), gagnant la somme de 1000€ chacune.

ILS ME DISENT

Ils me disent que je suis trop bavarde. Ils me disent que je n’aurais pas mon bac. Ils me disent que je n’écoute pas assez, que je ferais mieux de me taire. Mais j’aimerais bien, moi, les écouter ! Seulement, je n’entends rien. Seulement une voix qui prononce des fils de mots incompréhensibles. Je n’entends que les oiseaux chanter, lorsque mon regard dérive vers la fenêtre, oubliant la douleur que la chaise en bois me procure au derrière après une bonne heure de mathématiques. Je pense à mon avenir, ce sentier enneigé sans aucune déneigeuse pour l’éclairer et le rendre praticable. Alors en y déposant mon pied, je trébuche, et je crie. Je hurle de tous mes poumons pour que quelqu’un vienne me relever. Mais ils me disent de me taire. J’aimerais bien m’exprimer, faire ressentir ma peine à m’extirper de cette neige qui me coince et m’empêche d’avancer, mais ils ne veulent que du silence. Le silence, le silence, tout ça pour obtenir un fichu bout de papier, un grand diplôme de société. Mais pourquoi s’en faire, car demain, mes rêves voleront en l’air, et moi je resterais coincée dans cette neige.
J’aimerais bien tracer mon avenir et réussir. Mais si je n’arrive pas à m’offrir la liberté de m’exprimer, au fond, resterais toujours un prisonnier, moi et mes idées. A quoi sert de vivre dans un monde renfermé ou la liberté d’expression mérite une punition !
Une heure de colle, pour quelques mots échangés, c’est comme une balle dans l’épaule, pour un dessin publié.
Moi, je pense qu’au final, c’est eux qui ne m’entendent pas très bien. Ils n’écoutent pas assez. Alors je crie, du plus profond de mon cœur, de remplacer le bac par un haut-parleur.

Enora Frigout (15 ans)

ET SI ON REMPLAÇAIT LE BAC PAR… LE PARCOURS D’UN MIGRANT

Malgré votre travail fourni tout au long de l’année, ce n’est pas encore fini ! Cet examen tant redouté ne s’étalera non pas sur une semaine, mais sur plusieurs mois. Vous êtes actuellement sur le sol Lybien et attendez votre passeur qui sera votre examinateur durant le passage de vos différentes épreuves. Attention, n’oubliez jamais que cette personne n’est pas votre ami, et n’est pas là pour vous aider, son rôle est uniquement de vous évaluer, vous ne pouvez lui faire confiance ou compter sur lui. De plus, le passeur décline toute responsabilité si vous mourez au cours d’une épreuve, vous n’aviez qu’à pas passer le bac si vous ne vouliez pas prendre de risque. Seront prises en compte dans les notes finales la motivation du candidat, sa capacité d’adaptation face à n’importe quelle situation rencontrée, et enfin sa persévérance face aux obstacles à surmonter (naufrage du bateau, fuite du passeur, policiers aux frontières…) Vous débuterez par la géographie… Il faut que vous soyez capable de déterminer votre parcours à effectuer : ne pas connaître sa carte de l’Europe est éliminatoire! Si vous souhaitez débarquer en Grèce, il serait dommage de se rendre compte une fois le pied à terre qu’en fait votre passeur vous a ramené… au point de départ ! (Oui, votre passeur peut vous faire de petits pièges, à vous de les déjouer.) La seconde épreuve sera les mathématiques : calculez vos kilomètres à parcourir pour arriver à destination ! Déterminant pour la suite de votre périple et l’argent que vous aurez à verser: de la Lybie vers la Grèce ne représente pas la même distance que de la Lybie vers la Belgique, vous n’aurez donc pas la même somme à payer à votre examinateur, cette épreuve demande une concentration constante afin de ne pas se faire duper! (Si vous perdez en cours de route votre argent et cherchez à en retrouver, inutile de passer par la Suisse, le compte bancaire de Cahuzac est clos depuis 2010). La troisième matière évaluée serait le sport… Notez que vous ne bénéficierez pas d’entraînement avant, et vous ne saurez pas à l’avance sur quel sport vous serez évalué. Le bateau coule et vous tombez dans l’eau? Enfilez votre maillot, ce sera de la natation! On vous attrape à une frontière lorsque vous essayez de la franchir? Nouez vos lacets, ce sera du sprint! N’oubliez pas que votre note dépend également du nombre de kilomètres parcourus : quoi? Vous n’en avez fait que 1000 ? N’espérez pas avoir la moyenne, un petit trajet sera associé à une grande paresse de la part du candidat! (Ne vous contentez pas des 35h de Martine Aubry.) Durant cette épreuve, vous pourrez rencontrer ou non de la SVT: vous vous blessez? A vous de vous soigner : vous perdez votre jambe? Faites-vous un garrot, il faut savoir faire preuve de débrouillardise! Ceux qui seront retrouvés morts sur les plages auront l’obligeance de ficher le camp le plus rapidement possible afin de laisser la place aux prochains candidats. Enfin, l’ultime épreuve n’aura lieu que si vous arrivez à bon port. Il s’agit des langues : espagnol, français, anglais, allemand… Tout dépend de l’endroit où vous vous trouvez! Se distingueront des autres ceux qui apprendront le plus vite la langue locale: les plus rapides auront une plus grande chance de réussir à s’insérer dans la population, cependant rien n’est joué d’avance! La réussite de cet examen sera déterminée par votre réussite à vous intégrer: vous avez fini par obtenir la nationalité du pays dans lequel vous vous trouvez? Félicitations, nous sommes heureux de vous apprendre que vous venez de décrocher le bac! Vous êtes finalement renvoyé dans votre pays d’origine par les autorités locales? Nous sommes navrés de vous apprendre qu’il ne vous reste qu’à redoubler. Échouer à n’importe quelle épreuve ramène au point de départ et conduit également au redoublement. Cependant, si vous mourez en cours de route, vous n’êtes pas concerné. Le problème entre un lycéen et un migrant reste toujours le passage du « bac »…

Aurélie Liot (17 ans)

JOUR J, JOUR MAUDIT.

Il y a des jours où le destin nous fauche en plein vol. Un peu comme ce camion poubelle avec moi, en ce matin de juin. Après m’être explosé le bout du nez sur le pare-brise couvert de fientes de pigeons, je sentis mon corps heurter le macadam puis rouler le long du véhicule. Le destin aurait pu en rester là, laissant les sacs poubelles me recouvrir intégralement, ajoutant à ma mort les joies d’un fumet pestilentiel, mais non. Il venait de frapper le “Jour J”. Le jour du Bac. Enseveli sous les ordures, je me trouvais un peu con. Mourir fauché par un camion poubelle le matin de la première épreuve du bac. Mourir avant d’avoir connu les sueurs froides procurées par la dissertation de philo, aussi appelée désintégration accélérée des neurones. Rayé de la liste du baccalauréat. Coché absent. Quel malheur. Alors que j’entendais se rapprocher les sirènes d’un autre camion, celui des pompiers, je me remémorai ces paroles d’adultes sur le bac, prononcées à la manière d’une malédiction inévitable : « Quand tu passeras ton bac… » « Après ton bac… » « Si tu n’as pas ton bac… » et autres phrases-types dégoulinant de la bouche de chaque membre de ma famille depuis de nombreuses années. À croire que ce diplôme, cette feuille de PQ décorée de lauriers, aurait donné un tout autre sens à ma vie. Pendant que je rendais mon dernier souffle, les orifices nasaux et buccaux obstrués par un reste de boeuf bourguignon moisi coulant d’un sac plastique, mon fantôme s’éleva doucement au dessus de la montagne d’ordures. D’en haut, j’aperçus les secours, se bouchant le nez et refusant de plonger dans les poubelles pour venir me secourir. Je planais à présent, contemplant la ville polluée et suivant une marée de lycéens aux visages blêmes, convergeant tous vers un même point. Le centre d’examen Bernard Trouffion. “Épreuve de philosophie, huit heures du matin”, était-il marqué sur ma convocation à présent noyée sous le boeuf bourguignon. Mon ectoplasme plongea alors vers une fenêtre ouverte du centre d’examen, s’écrasant dans le tas de sujets de philo. Mon regard croisa l’intitulé du premier sujet : « La mort donne-t-elle un sens à la vie ? » Étant déjà décédé, je ne pus pas pâlir davantage. Néanmoins, je sentis mon cœur de fantôme se serrer. Jour J, jour maudit. Je saisis le paquet de sujets étalé sur le sol de mes mains transparentes. La mort donne-t-elle un sens à la vie ? Je n’en savais rien, et à vrai dire, en tant que défunt, j’allais avoir le temps nécessaire pour y réfléchir ultérieurement. Je me penchai à la fenêtre, regardant mes camarades de chair et d’os s’agglutiner devant l’entrée, dégainant leurs cartes d’identité avant l’heure fatidique. D’un seul geste, presque théâtral, je jetai les sujets du haut du bâtiment. Une pluie de feuilles encore classées secret-défense s’abattit sur la cour surpeuplée. La télévision fut sur place quelques minutes plus tard. Le chaos national s’en suivit. Sujet découvert, annulation de l’épreuve, panique totale, apocalypse au Ministère de l’Éducation Nationale. Si je n’avais pas eu le temps de donner un sens à ma misérable vie, achevée sous un tas de déchets à l’odeur fétide, je venais tout de même de pourrir celles d’un million de lycéens et de pédagogues à deux balles planqués dans leurs bureaux. Et cela donnait un sens à ma mort tragi-comique, refoulant le moisi et la pourriture. Un sourire se dessina tout à coup sur mes lèvres ectoplasmiques. Oh oui, sans aucun doute, j’allais revenir demain matin, pour les mathématiques.

Alice Petit (18 ans)

Mathis Goddet

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