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Entretien avec Emmanuel Dongala

Emmanuel Dongala nous entraine au coeur du XVIIIe siècle dans son nouveau roman La Sonate à Bridgetower (Actes Sud). Vienne, Paris, Londres, Haydn, Mozart, Beethoven… Sciences, musique, philosophie, histoire ; un décor foisonnant pour retracer l’itinéraire du jeune prodige Bridgetower et son père, partis en Europe chercher la fortune. Entretien.

Lecthot : Quelle a été votre source d’inspiration ?

Emmanuel Dongala : Je connaissais tout d’abord le roman de Tolstoï, La Sonate à Kreutzer. Puis, j’ai appris que la Sonate à Kreutzer de Beethoven n’avait en fait pas été écrite pour Kreutzer. Cela m’a intrigué. A l’origine, la Sonate avait été écrite pour un musicien méconnu de nos jours, George Bridgetower. Je me suis dit qu’il fallait creuser cette histoire. C’est ainsi que j’ai commencé à me documenter.

Bridgetower est arrivé à Paris en 1789, trois mois avant la Révolution. Il est ensuite allé en Angleterre, en Pologne, en Allemagne, puis à Vienne, où il a rencontré Beethoven. Pour un écrivain, cette époque est foisonnante. Il y a l’histoire, la politique, la religion, la philosophie, la musique, les sciences… Toute cette matière a inspiré mon roman. Il fallait cependant trouver le fil rouge : l’itinéraire du jeune prodige Bridgetower et son père, qui comme Mozart et son père, sont allés en Europe chercher la fortune.

 

L : Quel est votre lien à la musique ?

E.D. : Je ne connaissais pas grand-chose à la musique classique. C’est pourquoi j’ai travaillé dans une université et pris un cours de musique aux Etats-Unis pour la période baroque et romantique. J’ai appris beaucoup de choses, le vocabulaire technique, l’histoire de la musique, etc. Tout cela m’a permis d’apprécier la Sonate que Beethoven avait écrite pour Bridgetower. Le professeur qui m’a donné des cours m’a dit que c’était la Sonate la plus virtuose de Beethoven. L’une des rares sonates qu’un amateur ne peut pas jouer !

 

L : Qu’avez-vous appris des artistes que vous citez tout au long du roman ?

E.D. : J’ai beaucoup appris des trois artistes phares du roman, Haydn, Mozart et Beethoven. Ces trois musiciens ont jeté les bases de la musique qu’on appelle classique aujourd’hui. Ce sont les dieux de la musique classique.

 

L : Pourquoi avoir privilégié la forme du roman à celle de la biographie ?

E.D. :  Parce que se limiter à la biographie n’aurait pas été intéressant. Cela aurait donné quelque chose du type : « un jeune mulâtre très doué, venu en 1789 à Paris, a joué au concert spirituel. Il a rencontré un grand succès puis est parti à Londres et à Vienne, où il a rencontré Beethoven qui a joué une sonate. Les deux amis se sont ensuite brouillés pour une femme ! »

Pour un romancier qui s’intéresse beaucoup à la science, à la politique et à la manière dont une société change, c’était une époque bénie. Seule la forme romanesque me permettait de brasser tout cela. J’ai ainsi pu évoquer tous les aspects qui me tiennent à cœur ; la science, la politique, la musique mais également la situation des noirs en Europe à cette époque, et en particulier l’élite noire. Car, telle que cette période est présentée dans la littérature, on ne retient des noirs que leur statut d’esclaves ou de domestiques. Or, il y avait une élite noire qu’on appelait les mulâtres. Cette élite évoluait dans l’aristocratie, fréquentant les salons… On peut citer le chevalier de Saint-George qui était très proche de la reine Marie-Antoinette (ils ont d’ailleurs fait de la musique ensemble) mais aussi le père Dumas, qui était métisse et fréquentait également les salons.

Ce siècle a marqué un tournant en Europe. Les sciences y ont pris toute leur véritable importance, tandis que les canons de la musique classique se sont créés avec Haydn, Mozart et Beethoven. Sans compter le grand combat de la philosophie des Lumières pour remettre en cause l’esclavage, avec des figures de proue telles que Condorcet ou Olympe de Gouges.

Il n’y avait donc que dans un roman que je pouvais mettre tout cela ensemble.

 

L : Quel est finalement le lien entre la Sonate, Bridgetower et Kreutzer ?

E.D. : On ne sait pas grand-chose de Bridgetower. Sa biographie est très mince. Sa postérité tient uniquement à la sonate que Beethoven lui a consacrée.

Kreutzer, lui était un violoniste français très reconnu. Il n’a cependant jamais joué cette Sonate car elle lui paraissait inintelligible. Il disait d’ailleurs que Beethoven ne connaissait rien à l’exercice de la sonate ! Cette dédicace l’a toutefois rendu célèbre.

 

L : Que ressentez-vous en écoutant cette Sonate ?

E.D. : En écrivant le livre, je l’ai écoutée et réécoutée. D’abord en novice, puis avec un ami professionnel qui m’a expliqué des tas de choses. Aujourd’hui, lorsque je l’écoute, elle me touche beaucoup.

Le livre

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