Elle a tout quitté pour un Lui. Même son talent. Alors qu’elle commençait à être reconnue en tant que sculpteur, cette femme est devenue moins que la servante d’un homme. Elle s’est effacée ; reniée.
Dans son nouveau roman, Nue sous la lune (Buchet/Chastel), Violaine Bérot nous raconte le drame des êtres amenés à « devenir personne ».

Lecthot : Votre livre évoque un thème très fort, celui de la liberté. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire ?
Violaine Bérot : Cette histoire est née de la découverte du gouffre qui sépare la violence physique de la violence psychologique. Là où l’une laisse des marques apparentes sur le corps, visibles par tous, l’autre ne détruit que le dedans, l’invisible. J’ai réagi très fort à l’annonce du suicide d’une femme que son entourage disait forte, saine, pleine d’énergie, et dont personne ne comprenait le geste. Je sortais moi-même d’une relation de couple difficile, une relation d’emprise de laquelle j’avais du mal à m’extraire. La concomitance de mon expérience et de ce suicide m’a ébranlée. J’ai voulu fouiller plus loin ce thème. Dire la perversion, son apparente invisibilité, et la disparition de liberté qu’elle entraîne.
L : « J’étais devenue personne. » Selon vous, à partir de quand cesse-t-on d’être quelqu’un ?
V.B. : Le problème est justement qu’il est impossible de distinguer un moment précis où cela commence ! C’est progressif, insidieux. Si j’osais, je dirais : c’est presque « délicat ». C’est du travail d’orfèvre. Il s’agit de réduire l’autre en miettes l’air de rien.
L : Votre personnage principal ressent un certain confort en compagnie d’objets, notamment des petites femmes en bois. Cette dichotomie entre l’aspect réconfortant de l’inanimé et la froideur des hommes était-elle voulue ? Que signifie-t-elle ?
V.B. : Dans ce type de relation de couple, on se retrouve coupé de toute relation à d’autres êtres humains. Le rapport de mon héroïne aux autres semble exister puisqu’elle côtoie toujours du monde, mais il est factice, superficiel, complètement joué. D’elle, elle sait qu’elle ne doit rien laisser paraître. Donc son seul secours vient des objets : sa voiture, ses sculptures. A eux seuls elle peut parler librement, car elle est sûre de leur silence !
L : Le couple dont il est question tout au long du roman n’existe qu’à travers la sculpture. L’art peut-il suffire à unir deux personnes que tout le reste oppose ?
V.B. : Je crois que l’art vécu comme raison de vivre, comme passion, peut rassembler très fortement des êtres. Mais il faut pour cela que chacun laisse à l’autre sa vraie place d’artiste. Sans cet équilibre, la relation court à la catastrophe…
L : Quel est votre propre relation avec la sculpture ?
V.B. : Je ne suis pas une spécialiste de la sculpture mais je suis très sensible à certaines pièces. Je me suis inspirée pour ce texte des « Causeuses » de Camille Claudel, du « Christ » de Zadkine ou des pièces en bois de Barlach. J’aime le travail sur les corps, le mouvement et les émotions. En sculpture comme en écriture… Et puis je suis une fille de la terre, j’aime le rapport à la matière, au travail physique. Dans la sculpture sur bois telle que la pratique ce couple, il y a cet engagement physique et ce lien au vivant.
L : Vous osez une description psychologique sans pudeur, parfois douloureuse. Pensez-vous que le but de l’écriture est aussi de dire l’indicible ?
V.B. : Cela a longtemps été un questionnement pour moi : jusqu’où peut-on écrire ? Il m’a fallu près de quinze ans pour répondre à cette question que je me posais depuis la sortie en 2000 de l’un de mes romans les plus durs, Tout pour Titou, sur la maltraitance d’un enfant. Avec les années, j’en suis arrivée à la conclusion que dire l’indicible était l’un des buts d’écrire. Ma seule exigence est de veiller à rester juste. Dire l’indicible oui, parce qu’il faut ouvrir les yeux de ceux qui ne voient pas, mais dans le respect de la vérité de ceux qui ont pu vivre ces douleurs-là.
Propos recueillis par Charlotte Meyer