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Entretien avec Guillaume de Sardes

Sacha quitte sa Russie natale pour aller à la recherche de sa sœur Rebecca, exilée à Paris avec sa mère. La nuit est le théâtre de cette quête effrénée et sensuelle, dans les bars, boîtes et clubs de strip-tease.
L’Eden la nuit (Gallimard) est un chant sur l’errance et la vie nocturne. Entretien avec Guillaume de Sardes.

 

© Giasco Bertoli

Lecthot : Quelle a été votre source d’inspiration ?

Guillaume de Sardes : On écrit toujours à partir de soi. La plupart des scènes de ce roman ont lieu dans le quartier de Pigalle où je vis, dans un hôtel (le Lancaster) que je connais bien, dans un restaurant qu’il m’arrive de fréquenter. J’aime aussi le monde de la nuit : les clubs, les filles, le temps qui s’écoule différemment, etc. On pourrait d’ailleurs dire qu’au-delà de l’histoire de Sacha et Rebecca, ce roman traite de la Nuit dans sa dimension existentielle.
Mais on écrit aussi à partir des mots des autres. L’idée de ce roman m’est venue à la suite de la lecture d’Agatha de Marguerite Duras. Ce n’est pourtant pas un écrivain que j’apprécie particulièrement.

 

L : Ecrire est un acte d’amour. S’il ne l’est pas il n’est qu’écriture. Jean Cocteau. Comment situez-vous l’Eden la nuit par rapport à cette dichotomie ?

G. S. : Céline disait : « Si on ne met pas sa peau sur la table, on n’a rien ». Je partage cet avis. J’ai du mal à imaginer ce que serait un livre absolument artificiel, où aucune situation décrite n’aurait été vécue, où aucun personnage ne serait inspiré d’une personne réelle. Cela ne veut pas dire que je ne crois pas en l’imagination. Mais il faut tout de même une certaine proximité avec son sujet.

 

L : L’Eden la nuit aborde deux de vos thèmes de prédilection ; l’errance et la nuit. Que symbolisent-ils pour vous ?

G. S. : Tout mon travail est une variation autour de ces thèmes : mes photographies, mes vidéos d’art, mes livres. Je vis beaucoup la nuit : je me couche tard et me lève tard. Je ne prends jamais un avion le matin, ni aucun rendez-vous avant 11h. Je voyage fréquemment. Je viens par exemple de passer une semaine à Tanger, une ville que j’ai découverte à pied au fil de promenades sans but précis. Ces thèmes me plaisent parce qu’ils reflètent ma vie.

 

L : La quête du frère (désirant retrouver sa sœur) trouve-t-elle un écho intime en vous ?

G. S. : Pas vraiment, car je n’ai pas de sœur. Mais il m’est arrivé de rechercher des femmes croisées une nuit et perdues de vue.

 

L : La relation frère-sœur décrite dans le roman est ambiguë, proche de l’inceste. Pourquoi avoir choisi de dépasser la frontière de fraternité ?
Avez-vous conscience que le lecteur peut être particulièrement dérangé par cet aspect ?

G. S. : J’écris les livres que j’aimerais lire. Je ne pense jamais à la réception de mes textes. Écrire est un exercice de liberté ; quand on commence à se contraindre, à se ménager, on finit par écrire des choses sans intérêt. Il suffit d’ouvrir les romans de ceux qui ont une carrière publique à mener… Ce sont surtout les romanciers perdus de réputation qui font de grands livres : Jean Genet, Gabriel Matzneff, Dostoïevski (qui a passé quatre ans au bagne), etc.

 

L : Vos différentes œuvres montrent un intérêt tout particulier pour l’art russe. Quelle est la place de cet univers dans votre vie ? Comment cette passion est-elle née ?

G. S. : Mes grands-parents sont originaires d’ex-Union soviétique. Ma mère a été naturalisée française. Je suis souvent allé en Russie, notamment à Saint-Pétersbourg. J’ai vécu pendant plusieurs années avec une artiste russe, une jeune femme très douée, incroyablement intense. C’est elle qui m’a inspiré le personnage de Rebecca/Nina dans le roman. La Russie est donc un pays auquel je suis lié et que j’aime. Comment ne pas admirer sa littérature, sa philosophie, sa musique, son ballet, bref sa culture ? C’est pourquoi les jugements sans nuances, voire les extravagantes contre-vérités que la presse française publie quotidiennement sur la Russie m’attristent. Il est devenu de bon ton de renier l’amitié franco-russe, pourtant séculaire. J’espère que les choses vont évoluer dans les années à venir.

Le livre :

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