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Entretien avec Pierre Notte

« J’ai vu un homme à vélo, se rapprocher d’une passante, elle traversait la rue, il roulait, je l’ai vu ralentir, lui mettre une main aux fesses, et repartir en riant. La femme s’est effondrée, au milieu de la route qu’elle traversait. Je me suis approché, je voulais lui demander pardon au nom de toute l’humanité des hommes, elle m’a rejeté (…) »
L’histoire d’une femme, merveilleusement contée par Muriel Gaudin, au théâtre de Poche du 17 mars au 16 mai 2017. Une pièce universelle, sensible et réaliste. Entretien avec Pierre Notte.

 

© DR

Lecthot : L’histoire d’une femme met en scène le pardon universel, de l’homme à la femme. Comment cette idée vous est-elle venue ? 

 Pierre Notte : Le pardon ? non, c’est le contraire, c’est le refus d’entrer dans la bataille, d’être en guerre avec la dominance masculine, d’accepter cette guerre, et d’avoir à pardonner ou se soumettre. C’est le refus des règles du jeu. Ce jeu-là, je l’observe chaque jour, des femmes humiliées, violentées, malmenées, acculées par des allusions, des regards, des jeux de séduction, un machisme presque invisible ou une phallocratie outrancière… Tout est réel, vrai, véridique, ici. Cette pièce n’est pas un conte ni une fantaisie, c’est une réalité dépeinte, mais qui tend vers l’apaisement… (le collégien n’est pas un homme, il ne fait pas l’homme, il est d’abord un être humain, mais quel homme deviendra-t-il ?)

 

L : Y a-t-il une dimension féministe ou proposez-vous une interrogation sur la masculinité ?

P. N. : Je ne comprends pas le mot « féministe », honnêtement, je n’arrive pas à comprendre. Le mouvement politique qui a conduit les femmes à se battre pour obtenir les mêmes droits, mêmes statuts, mêmes salaires, mêmes devoirs que les hommes, ça je le comprends. Mais la pièce ne relève pas de ce mouvement-là, elle observe autre chose : un monde masculin qui oublie son sexisme, qui s’oublie. Qui oppresse, à plusieurs niveaux différents, qui violente les femmes, par principe séculaire d’une supériorité masculine, sociale et virile (le père, le frère, le compagnon, le patron, le médecin, le buraliste, le dragueur, le frotteur, le vendeur, le DRH, etc.) Alors c’est plutôt une interrogation sur la masculinité, et peut-être sur la réponse d’une femme, ici, celle-là, sans nom, qui comme réponse choisit le silence, d’être hors-jeu. Comment font les femmes ? dans ce monde pourri par la dominance masculine ? comment font-elles si elles veulent cesser de jouer ce jeu ?

 

© Victor Tonelli

L : Comment avez-vous rendu l’intensité dramatique de ce thème par la mise en scène ? 

P. N. : Je voulais créer des tableaux, une chorégraphie, et une musique. J’ai horreur de la réalité reproduite, du réel reconduit, je suis sensible à l’invention du chant des comédiens, à leur liberté, leur folie, leur invention d’un temps, d’une force, d’une énergie. Le reste ne m’intéresse pas beaucoup (les illustrations, les décors, les effets, le spectacle.) J’aime le corps brûlant de l’acteur qui s’enflamme, la musique de la parole, de la langue, le poème des tableaux, miniatures humaines, les lignes des corps qui dansent. On ne refait pas le réel, on l’invoque, on l’évoque pour l’interroger, et chacun se le représente. (Je suis très très très prétentieux.)

 

L : Qu’aimeriez-vous faire ressentir aux spectatrices ? Et aux spectateurs ? 

P. N. : Ce soir, ils riaient beaucoup dans la salle. Hier, pas du tout. Chaque soir, des gens sortent choqués, frappés, bousculés. Je ne sais pas. Les femmes semblent étonnées qu’un homme puisse aborder cette question, de cette manière, la place des femmes. Ou d’une femme, sa violence, les choses vécues. Les hommes se reconnaissent évidemment, ils sont heurtés. Ils entendent les rires des femmes, ils se font plus discrets. Je ne sais pas, nous sommes tous là pour nous interroger, ensemble, ce que nous sommes, nos barbaries, nos ordures intérieures. On en rit, on en pleure aussi, et on les regarde de près. Ça aide, je crois. 

© Victor Tonelli

 

L : Le théâtre est-il un moyen d’expression privilégié pour parler du rapport homme-femme ? 

P. N. : Le théâtre est mon espace privilégié d’expression, mes sujets sont des obsessions, des violences, des questionnements oppressants, que je veux aborder, triturer, fouiller. Mais il y a mille manières d’aborder la question, et le théâtre peut devenir le moyen d’expression de n’importe quoi, et n’importe comment, et c’est tant mieux. J’aime tous les théâtres, sauf celui de la mondanité ou celui de la consommation commerciale. Ce qui m’étonne, c’est que le sujet est finalement assez rare, cette violence-là, des hommes faites aux femmes, dans notre société, aujourd’hui maintenant, alors qu’en Italie, la grande mode est à l’acide lancé aux visages des femmes qui ont quitté leur conjoint. On en parle peu, de cette horreur de la dominance masculine (Les Filles de Simone l’ont fait… Pauline Bureau l’a fait, qui constitue une œuvre importante…) 

 

L : Comment cette pièce s’inscrit-elle dans votre œuvre ? Incarne-t-elle un tournant particulier ? 

P. N. : Il ne s’agit plus d’un conte, d’une fable. L’écriture n’est pas alambiquée, tordue, irréelle. C’est une pièce droite, d’action, écriture concrète, immédiate, la poésie ici est ailleurs, dans certaines scènes, certaines relations, dans la construction peut-être. En fait, je n’en sais rien. Tout est remis en cause à chaque fois, chaque geste, à chaque projet, dès chaque désir nouveau d’écriture, ou à chaque nouvelle nécessité d’écrire, la forme comme tout le reste est remise en cause, les règles du jeu changent. Et les influences aussi. Comme les rencontres, le temps. Tout. Comme soi. 

La pièce :

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