Laure et François voient leur couple chavirer suite à la découverte d’un tableau de Salvador Dali, « Le Grand Masturbateur ». Voilà la curieuse intrigue du Grand M (Gallimard) qui nous interroge sur le caractère performatif de l’art.
Peut-on vivre sans art ? Jusqu’à quel point peut-on être influencé par une peinture ? Qui de l’art ou de la nature imite l’autre ? Entretien avec Richard Texier.
Lecthot : Comment avez-vous eu l’idée de ce livre ?
Richard Texier : Pendant le tournage de deux courts-métrages que j’ai réalisés au Musée du Louvre. Deux films de fiction « La mort de Cléopatre » et « Gabrielle d’Estrée » qui racontent la capacité de contagion de chefs d’œuvre majeurs de l’histoire de l’art.
L : L’amour est une forme de suicide. Vous employez cette citation de Lacan pour illustrer le naufrage de Laure et François, bouleversés par le tableau de Dali, Le Grand Masturbateur. L’art est-il une sorte de catalyseur de ce suicide ? Ou l’en préserve-t-il au contraire ?
R. T. L’art est un amplificateur de perceptions ; il enferme ou déploie l’imaginaire proportionnellement à la capacité d’enlacement des œuvres. Ma peinture est une célébration de la vie, elle n’a rien à voir avec le suicide, c’est un axe d’élargissement, un éblouissement
L : La nature imite l’art. Le Grand M propose une belle illustration de la thèse d’Oscar Wilde. Qu’est-ce que dit votre roman de cela ? Pourquoi avoir choisi de dépasser l’imitation pour aller jusqu’à l’aliénation ?
R. T. : Pour ma part je crois l’inverse. La nature est le modèle indépassable. Elle inspire les artistes depuis toujours ; depuis les premiers temps, les animaux courraient sur les parois de Lascaux, les artistes y puisent les ressorts de leur œuvre. De Vinci ou Rodin n’ont cessé de célébrer la puissance panthéiste.
L : La peinture est le reflet de l’âme. Laure et François se découvrent un nouveau visage à travers le tableau de Dali. Pensez-vous que l’art permette de valider l’existence d’un être, et de le révéler à lui-même ?
R. T. : Oui l’art est un révélateur de perception. Il fonde la relation au monde des grandes civilisations. Peut-être est-ce l’élément principal d’identification, le seul qui leur survit ?
L : Avez-vous déjà été particulièrement saisi par une œuvre d’art et son caractère performatif ? Si oui, cette influence a-t-elle exercé un vrai pouvoir sur votre quotidien ?
R. T. : Le surréalisme m’a beaucoup inspiré. Il a étendu le champ d’investigation de l’art en inventant des techniques pour explorer la vie de l’esprit. Exprimer ce qui vit dans son propre chaudron est l’ambition de l’artiste, elle nourrit les œuvres les plus passionnantes.
L : François Busnel a dit lors d’une interview pour Lecthot : La lecture est performative, elle n’est pas passive. Vous suivez l’itinéraire d’un héros parti en Italie retrouver la femme qu’il aime, et vous le faites.
Est-ce cela que peut la peinture ? Peut-elle davantage, ou moins, que les autres arts ?
R. T. : La peinture a une capacité d’enlacement phénoménale. Elle s’appuie sur l’instinct, l’intuition. Le geste du peintre exprime l’énergie qui vit en lui sans aucun filtre, nul besoin de formuler ou de coder, c’est un langage fulgurant, incandescent, une évidence. Pour moi l’écriture est plutôt un principe de macération qui apparaît après de longs efforts de formulation comme un précipité de sensations, une manière de dire l’expérience du réel, ses grimaces et ses puissances.
L : Quel sentiment aimeriez-vous susciter chez le lecteur ?
R. T. : Je rêve qu’au fil des pages, il devienne un compagnon de perceptions et que la lecture de mes livres lui donne envie de découvrir ma peinture.
Le livre :