Les avant-premières d’Harry Potter and the Cursed Child ont démarré à Londres la semaine dernière. Cet événement littéraire est loin d’intéresser uniquement un public « jeunesse », comme le prouvent les nombreuses (et très sérieuses) critiques de la pièce dans les journaux anglophones, qui ne font à aucun moment mention d’un aspect enfantin. Depuis plusieurs décennies, la saga Harry Potter remet en cause la classification « jeunesse ». D’aucuns seront surpris d’apprendre qu’il existe au Royaume-Uni des éditions pour adultes de la saga. Or, ils ne différent des éditions jeunesse que par leur couverture, le contenu étant intégralement identique ! Pourquoi, si on reconnait que des adultes lisent et aiment la littérature « jeunesse », un sentiment de honte, de plaisir coupable, persiste face à ces lectures ?
Young Adult et littérature jeunesse
Dans le monde littéraire anglophone d’aujourd’hui, la littérature jeunesse est divisée en trois catégories : pour enfants, pour adolescents et pour « jeunes adultes ». Il s’agit d’un des secteurs de l’industrie du livre le plus actif et profitable, même s’il ne se développe que depuis 50 ans. Pour les maisons d’édition et la presse, le « Young Adult » se différencie de la littérature pour adolescents car il peut attirer à la fois des jeunes de 13 à 17 ans et des adultes. C’est ce qu’on appelle des romans « crossover ». Un des chiffres qui circule le plus sur la toile est celui d’une étude réalisée en 2012 d’après laquelle 55% des lecteurs de Young Adult sont des adultes tout court. C’est cette sous-catégorie, à laquelle appartiennent Harry Potter (grand pionnier du crossover), The Hunger Games ou encore les livres de John Green, qui fait le plus de ventes dans la littérature jeunesse. Comme son nom l’indique, le YA reconnait qu’il se dirige aussi vers des adultes. Plus exactement, il vise le public jeune, qui peut aller jusqu’à la trentaine, voire au-delà.
En France, pas d’ambiguïté. La littérature jeunesse se caractérise pour les éditeurs et les libraires par un lectorat précis et uniforme. Il n’existe pas encore chez nos libraires, contrairement aux librairies américaines ou british, des rayons pour « jeunes » et le YA est relégué aux mêmes étagères que ses petits frères plus enfantins. Le changement s’opère donc très lentement : par exemple, la Fnac en ligne présente un onglet « ados-young adulte », tandis que les éditeurs, sans s’éloigner de leur public d’origine (les ados) essaient de faire des couvertures qui pourraient tenter aussi des jeunes adultes. Ils créent aussi de nouvelles collections qui ne portent pas la mention jeunesse (cf. Black Moon chez Hachette) ou jouent sur une double implantation jeunesse et adulte (avec différentes couvertures et différents formats).
Snobisme et préjugés
En France, comme au Royaume-Uni et aux U.S., des clichés et des préjugés contre la littérature jeunesse persistent. On reconnait certes la difficulté pour un adulte de s’intéresser aux livres pour enfants, voire pour pré-ados. Mais qu’en est-il du Young Adult ? On ne peut nier que cette catégorie est hautement artificielle, on voit mal tous les adolescents, lors de leur dix-huitième anniversaire, remplacer À la croisée des mondes par l’œuvre complète de Houellebecq. Il est cependant clair que la popularité du YA n’est égalée que par la ferveur de ses détracteurs. Prenez le fameux article de Ruth Graham dans Slate, où elle avance que tout adulte devrait être gêné d’être découvert avec un livre YA. Ses critiques portent surtout sur la perspective adoptée dans ces romans, qu’elle ne trouve pas assez critique vis à vis de l’expérience adolescente. AO Scott dans un article pour le New York Times ira jusqu’à déclarer que le succès du YA cristallise la mort de l’âge adulte, le genre est pour lui un symptôme clair de l’état catastrophique de notre société, coincée dans une adolescence permanente. En France, les lecteurs sont encore plus réticents à admettre qu’ils lisent du YA. La catégorie n’existe pas vraiment (il n’y a pas de traduction), toute la littérature jeunesse est amalgamée, considérée comme inférieure et enfantine dans sa totalité. L’idée que la littérature jeunesse est purement divertissante et ne peut toucher au philosophique se maintient.
Pourquoi a-t-on si peur de reconnaitre qu’on lit du Young Adult ?
Encore aujourd’hui, les détracteurs du YA semblent considérer que le genre relève d’un standard de qualité inférieur à celui de la littérature adulte, qu’il bénéficie de la part de ses lecteurs d’une certaine bienveillance face à ses défauts parce qu’il est destiné aux ados.
1) C’est une assomption ridicule, comme dans tous les genres et surtout, comme dans la littérature adulte : il y a dans le YA du bon, du très bon et du mauvais.
2) Admettre que la littérature jeunesse est systématiquement moins exigeante que la littérature pour adultes, c’est assumer que le public visé, les adolescents, sont eux aussi systématiquement moins intelligents et exigeants. Absurde. Si les jeunes lecteurs sont peut-être moins expérimentés, ils se rattrapent en termes d’exigences. Dans une ère où ils ont à leur portée de nombreuses distractions, il faudrait louer les auteurs qui réussissent à les intéresser à la lecture, une activité qui est loin d’être considérée comme cool.
Il ne s’agit pas de dire que tout le YA est de qualité ou que le genre en général est meilleur que la littérature pour adultes, mais d’en changer la perception pour montrer qu’on y trouve aussi des œuvres abouties, qui deviendront sûrement des classiques.
Qu’est ce qui fait l’attrait du YA ?
Les critiques, blogueurs et fans en général s’accordent pour dire que le grand attrait de ces romans réside dans l’escapisme. Les livres pour adultes, en dehors de genres précis tels que le fantasy, apportent rarement au lecteur cet élément d’invention absolue, de fuite totale du quotidien. Le deuxième grand attrait réside dans le pouvoir d’inspirer chez les lecteurs adultes une forte nostalgie de la jeunesse, du temps où tout était possible, où il est encore possible de se construire une identité, où on découvre le monde.
Finalement, un aspect caractéristique du genre, qui est cependant occulté par le marketing du YA est son universalité. Pourquoi plusieurs générations peuvent lire les mêmes livres ou sagas jeunesse (des classiques comme L’Attrape-cœurs aux plus nouveaux comme The Hunger Games) ? C’est que, malgré toutes les critiques qu’on peut avancer sur le genre, il est caractérisé par sa capacité à toucher à des sujets profonds et universels. Comme peut-être toute la bonne littérature, finalement !
Prenons Harry Potter : qu’est ce qui en a fait un succès planétaire? C’est sûrement le fait que l’auteur aborde des sujets importants et intemporels tels que l’amitié, l’amour, l’identité, la discrimination, la morale ou la mort. Mais surtout, c’est le fait que le traitement de ces sujets n’est pas fixe et idéologique, les positions des personnages sur ces sujets évoluent. Chapeau à Rowling, voilà un travail de caractérisation bien réussi ! Ceci permet non seulement à plusieurs tranches d’âge de s’intéresser à l’œuvre, mais cela donne également une impression de vérité qui peut conquérir des lecteurs de tout âge.
D’une manière très objective, le Young Adult figure parmi la littérature la plus sérieuse à notre disposition aujourd’hui. Cependant, la forme que prend ce sérieux est rarement valorisée par la presse, les critiques et parfois par les maisons d’éditions elles-mêmes. Ces dernières ont en effet tendance à mettre l’emphase sur l’aspect divertissant. C’est dans l’usage profus de l’allégorie que les romans Young Adult trouvent leur relief et leur universalité. Ils rendent visible un mal et en font un ennemi qui peut être vu, compris et qu’on peut par conséquent vaincre. Ce mal est de plus en plus implanté dans le monde adulte lui-même, qui exige de protagonistes qu’ils se conforment, oublient leur individualité au profit du collectif. Or le succès du YA auprès des lecteurs de plus de 18 ans, réside précisément dans le caractère dysfonctionnel de la vie adulte moderne, que les fictions YA aident à décrypter. On critique chez les lecteurs de Young Adult le désir de se retirer de la vie adulte. Si la réalité adulte est un amas de dettes, un travail monotone et opprimant, ainsi que des déceptions amoureuses répétées, je ne vois aucun argument contre prendre la fuite !
Anais Ornelas