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L’amour de la démesure

Dans son dernier essai, La Vie intense. Une obsession moderne, Tristan Garcia fait état d’un nouveau mal-être sociétal : la recherche frénétique de la démesure… au point que cette dernière se banalise et perde son essence.

Intensité

L’idéal électrique

 

En physique, l’intensité se rapporte au domaine de l’électricité. Et c’est d’ailleurs sur cette énergie que l’écrivain et philosophe fonde sa réflexion. En effet depuis sa création au XVIIIe siècle, puis son développement et sa démocratisation, l’électricité se serait immiscée dans notre quotidien au point d’influencer profondément notre manière d’être. Symbole positif de vigueur, (« Avoir un sacré jus », c’est à priori tout bénef !) ce flux stimulant s’est intégré au fil du temps à la culture, en arborant divers déguisements. Il s’est incarné tour à tour dans différentes figures humaines : par exemple, les libertins en recherchant la sollicitation extrême des sens, les romantiques en exprimant des émotions exacerbées, ou encore les rockeurs en enchaînant les rifs toniques… Ainsi, d’après l’auteur, il ne fait nul doute que l’électricité a largement contribué à façonner notre actuelle société. Ce serait grâce à cet élément que des concepts tels que la croissance ou le perfectionnisme auraient pris de l’ampleur jusqu’à se mêler étroitement à nos vies.

Seulement à vouloir être trop intense, l’Homme moderne « ampère » son authenticité !

Comment trop d’intensité tue l’intensité

« L’homme intense se lasse vite. » – Tristan Garcia

Au XXIe siècle, avec l’essor du développement personnel, de plus en plus de personnes s’élancent dans une quête forcenée du bonheur. Or, le bonheur passe par l’épanouissement de soi, c’est pourquoi des pratiques comme la méditation, les séminaires sur le bien-être et autres régimes sans gluten se sont popularisées. Les progrès numériques permettent d’aller plus loin encore, en proposant une large panoplie d’objets connectés à usages divers. (Y compris pour calculer le nombre de calories brûlées lors d’une virée à la boulangerie au bout de la rue !) Toutefois, à faire du bonheur la récompense d’une course, d’une compétition, le concept même du bonheur s’égare… Il se mue alors en un sentiment de satisfaction provisoire, immédiatement détruit par le besoin de reproduire l’expérience qui l’a induit : il faut être détendu, s’épanouir, mener une vie saine remplie de spiritualité et de réflexions profondes… et cet état de plénitude doit être maintenu coûte que coûte. L’intensité, existant à la base de par son aspect fugitif, doit devenir la norme, l’essence de l’existence. Ce paradoxe installe donc une pression sur l’individu, qui, en proie à l’obligation allusive d’être heureux, renouvelle sa manœuvre jusqu’à l’épuisement. (Le fameux burnout.) Qui plus est, sans jamais vraiment trouver le bonheur, puisque son excès de zèle l’a empêché de saisir ce bien-être tant voulu.

Tristan Garcia dénonce ce renouvèlement continuel de la démesure au nom de la quête de l’épanouissement de soi, détruisant au final le concept originel de l’intensité ainsi que ses vertus. Ce qui était auparavant un instant rare, enrichissant, devient progressivement un événement ordinaire et lassant, n’apportant plus rien à l’être si ce n’est le sentiment de tourner en rond dans une cellule de prison mentale… Pour parer à ce mal moderne, il suggère dans un premier temps de tempérer ses variations émotionnelles, puis de profiter du simple bonheur d’être en vie.

Camille Launay

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