Gros thon !
Sale pute !
SA-LO-PE !
Hommes, femmes, enfants, nous avons tous un jour été les témoins directs ou indirects de ces actes impunis, la terrible banalité de cette misogynie s’enracinant profondément dans les inconsciences collectives. Cette réalité sociale déborde et pénètre depuis des décennies le champ littéraire, où de nombreuses voix contestataires osent s’affirmer, telle Simone de Beauvoir en 1947, avec son fameux essai Le deuxième sexe.
Lisa Azuelos
Aujourd’hui, c’est au tour de Lisa Azuelos de faire entendre sa voix, à travers un essai au titre éponyme de l’association créée cette année par l’auteure, militant notamment pour la nouvelle dénomination des violences faites aux femmes. Pour traiter de cette actualité livresque enflammée, nous nous intéresserons également à un autre livre, dont l’horizon n’est peut-être pas si éloigné. Il s’agit de Adieu mademoiselle. La défaite des femmes (Eugénie Bastié ), l’ouvrage, sorti en avril dernier, s’attaque au « néo-féminisme » et à ses différents paradoxes.
Ensemble contre la gynophobie, Lisa Azuelos, éditions Stock
« 14 millions de cris », c’est le film réalisé en 2014 par la cinéaste Lisa Azuelos. Le titre fait référence aux cris des filles mineures contraintes de se marier, au quotidien, partout dans le monde. « Gynophobie » est le mot qui manquait au dictionnaire pour désigner cette réalité jusque là ineffable, le néologisme porté par l’écrivaine Lisa Azuelos dans son dernier essai. Accompagnée des voix de Loubna Abidar, Jacques Attali, Marie Darrieussecq ou encore la rabbin Delphine Horvilleur, et par un mouvement qui a vu le jour sur la toile, Lisa Azuelos éclaire ainsi le sens de ce néologisme : «GYNOPHOBIE : nom. Féminin. Peut être définie comme l’hostilité, explicite ou implicite, envers les femmes parce qu’elles sont femmes.» Pourquoi nommer une réalité qu’on retrouve semble-t-il déjà aujourd’hui sous les termes de misogynie ou encore sexisme ? Selon l’écrivaine, la misogynie ne porte plus la réalité à laquelle elle devrait faire référence, l’acception de la misogynie a été altérée, déplacée, réduite. Pour reprendre la formule célèbre de Jacques Attali dans Verbatim: « (…) nommer, c’est faire exister, c’est reconnaitre », le terme de Gynophobie devient alors l’étendard d’un combat en faveur de la cause féminine, contre les discriminations sociales, tous les types de violences dont sont victimes les femmes, afin que soit reconnu un mal social difficilement guérissable : la gravité du mot doit désormais permettre de saisir l’alarmante nature de cette réalité.
Image extraite de la vidéo « Expérience sociale : Ma façon de m’habiller mérite t-elle de me faire agresser? »
Adieu mademoiselle. La défaite des femmes, Eugénie Bastié, Les éditions du cerf
Dans cet ouvrage, la jeune essayiste dénonce «la misère du néoféminisme contemporain », nouvelle doxa de notre société contemporaine qui a vu surgir dans ses rangs des « ayatolettes » (il s’agit des femen) héritières de mai 68 et dans la tendance « déconstructiviste » du patriarcat. Le « néoféminisme » apparait dans la bouche d’Eugénie Bastié comme tyrannique et outrancier, cette dernière rappelle les différentes « mises en scènes » des femen et le très polémique simulacre d’avortement le 20 Décembre 2013 dans l’église de la Madeleine. Ce « néoféminisme » lui apparait à certains égards paradoxal : Abolir la prostitution, mais autoriser la GPA. Supprimer la différence des genres, mais exiger l’égalité des fonctions. Réclamer l’abolition de la maternité, mais accepter l’imposition du voile. Se proclamer progressiste, mais enchaîner la condition féminine au Marché… (résumé de l’ouvrage)
Voici deux citations clés de l’ouvrage :
En niant la distinction entre les hommes et les femmes, la théorie du genre prive le combat féministe de toute cohérence et validité
Les différences sont soit avilies par la double marchandisation de la publicité et de la pornographie, soit effacées par le double puritanisme du genre et de l’islamisme
C’est avec une plume acerbe qu’Eugènie Bastié décortique les affres dans lesquels plonge selon elle le « néoféminisme ». Adieu Mademoiselle- La défaite des femmes souffle un vent de révolte.
Gynocratie contre Phallocratie ?
Des termes compliqués à l’image de la réalité qu’ils couvrent : la gynocratie désigne un modèle théorique d’un pouvoir contrôlé par le sexe féminin (à différencier du matriarcat) où l’homme serait banni, et la phallocratie concerne un pouvoir contrôlé par le sexe masculin qui conduirait à une société patriarcale, misogyne, sexiste, gynophobiste. Ces deux pouvoirs fonctionnent suivant leur schéma par l’exclusion du sexe contraire, le « néoféminisme » étant en ce sens comme une gynocratie, et l’anti-féminisme comme un retour au patriarcat phallocrate.
Cette opposition des sexes, loin d’être contemporaine, était déjà illustrée par Aristophane, ironisant dans sa comédie Lysistrata sur le combat vain que chacun sexe mène à l’autre, et qui aboutirait au vertigineux déclin de la société. Aristophane, entre farce et philosophie, invite à réunir les sexes, au lieu de les désunir. Car au fond, c’est bien le sexe qui parle, et c’est lui-même qu’il faut écouter.
C’est par là même qu’Eve Ensler dans Les monologues du vagin s’empare du problème en 1996 sur les planches de Broadway, pièce déroutante encore pour notre société contemporaine puisqu’elle ose raconter et dévoiler les aventures, sentiments et autres pérégrinations du vagin, ainsi que de tous les autres membres de sa communauté. Les blessures du sexe n’entretiendraient-elles pas un lien ténu avec les blessures de l’âme ? En attendant, peut-être faudrait-il, au-lieu d’entrer dans des combats complexes pour conquérir l’espace social, donner la voix à ces femmes qui célèbrent la femme, comme Maya Angelou dans Phenomenal Woman ici interprété par la poétesse noire américaine.
Mathis Goddet