« La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable*» La correspondance entre ces deux arts peut sembler hasardeuse, voire antinomique. Mais comment contourner le lien latent unissant l’art qui utilise les mots pour créer des images à celui qui utilise les formes pour traduire les idées ? L’immuable et le transitoire se côtoient depuis toujours au sein du dialogue intemporel entre les deux arts.
*Charles Baudelaire Le peintre de la vie moderne (1863)
LES PRÉMICES DU DIALOGUE
Dès le XVIe siècle et l’avènement de l’ère baroque, la relation entre les deux arts se forge à travers la quête d’exubérance et de grandeur influençant l’architecture, la mode et la littérature. Au XVIIe siècle cependant, l’obsession pour la mode et les excès sera condamnée, définie de manière péjorative comme relevant de la vanitas. Mais, à l’aube du XIXe siècle, Melchiorre Gioia, avec l’œuvre Nuovo Galateo (1802) -véritable apologie de la mode – redonne une place prépondérante à la mode dans la littérature. Dès lors, la mode acquiert une nouvelle dimension anthropologique, visible en particulier dans Dialogo della moda e della morte de Leopardi.
Charles Baudelaire se découvre également une affinité avec le sujet de la mode en l’analysant dans Le peintre de la vie moderne (1863), réflexion littéraire sur le rapport entre mode et modernité : «Le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion.»
Puis de Leopardi (Dialogo della moda e della morte) à Proust (À la recherche du temps perdu), en passant par Balzac (Traité de la vie élégante) et Théophile Gautier (De la Mode), la mode devient un sujet littéraire privilégié. Soudain perçue comme le reflet de son époque, l’art autrefois relégué au rang de « vanitas » s’anoblit et l’écrivain s’y intéresse pour mieux retranscrire son temps. Les intellectuels reconnaissent ainsi désormais la part « circonstanciel(le)» du « beau », éphémère mais indispensable, évoquée par Baudelaire…
UNE INFLUENCE MUTUELLE
Mais l’influence est loin d’être unilatérale, puisque la mode a elle aussi besoin de la littérature pour traduire et diffuser ses propres images. C’est ainsi qu’apparaissent les premiers journaux féminins. Dans Journal des Dames et des Modes (planche 2204), fondé à Paris en 1797, on peut admirer l’image « le Dandy » représentant un jeune homme à la mode de 1823. La figure littéraire et intellectuelle du dandy est ici traduite en image : « Habit à boutons de métal. Pantalon de casimir. Gilet de velours à raies de satin par dessus un gilet de piqué. Manteau doublé de soie et garni de chinchilla. »
1798 – journal des dames et des modes
Mallarmé, poète symboliste fasciné par la mode, destine sa prose à la mode en 1874 au sein d’une revue féminine intitulée « La dernière mode ». L’auteur rédige des articles sur des thèmes tels que les bijoux, la gastronomie ou l’ameublement, empruntant des pseudonymes féminins (« Marguerite de Ponty » ou « Miss Satin »).
Stéphane Mallarmé, La Dernière Mode, 1874
Un siècle et demi plus tard, en 2013, Esther Henwood publie Mode & Littérature, ouvrage pour lequel l’auteur demande à 40 créateurs de produire une tenue qui rendrait hommage à leur héroïne préférée. On retrouve du côté des créateurs, Karl Lagerfeld, Christian Lacroix ou encore Inès de La Fressange, et du côté des héroïnes, Lolita ou Anna Karénine. La littérature devient ainsi une véritable muse pour le créateur, ou en d’autres termes, pour le traducteur visuel de l’idée du beau.
LA MODE ET LA LITTERATURE AUJOURD’HUI
La mode, autrefois élitiste, est aujourd’hui démocratisée. Les voies d’interaction de la mode et la littérature font aujourd’hui l’objet d’études dans différents domaines, sujet de recherche à part entière pour les intellectuels, qui en analysent la réalité anthropologique, philosophique et morale.
Valentina Colombo