Beyoncé est connue pour ses nombreuses collaborations à succès avec de grandes stars de la scène musicale internationale. Récemment, c’est à la scène littéraire noire qu’elle semble s’intéresser. Qui sont les femmes de lettres qui inspirent Beyoncé ?
Chimamanda Ngozi Adichie
Dans le clip de sa chanson « ***Flawless » (2013), Beyoncé inclut des extraits d’une conférence donnée par l’auteure Nigérienne Chimamanda Ngozi Adichie, sur l’importance de réhabiliter le mot féminisme. Le roman Americanah d’Adichie a gagné le National Book Critics Circle Award en 2013 et a été sélectionné par le New York Times comme l’un des meilleurs 10 livres de l’année. Adichie est aussi professeure et chercheuse, la conférence « samplée » par Beyoncé « Nous sommes tous des féministes » inclut des phrases très percutantes telles que « Nous apprenons aux filles à se réduire, à se faire toutes petites, nous disons aux filles : vous pouvez avoir de l’ambition mais pas trop. »
Warsan Shire
Warsan Shire est une poète anglo-somalienne de 28 ans qui compte plus de 60 000 followers sur sa page Twitter. Elle a été élue Young Poet Laureate for London en 2014 et son premier recueil va paraître dans les prochains mois. Beyoncé a inclus dans son nouvel album visuel Lemonade des extraits de ses poèmes les plus connus, notamment « For Women Who Are « Difficult » to Love ».
Une plateforme pour un débat fertile ?
Pour ces auteurs, collaborer avec Beyoncé est une opportunité unique afin de faire connaitre leur oeuvres et donner à leur message un public plus vaste.
Depuis « ***Flawless« , Beyoncé est devenue une icone féministe, ses chansons célèbrent la beauté féminine sous toutes ses formes, surtout celle, souvent niée, des femmes noires. En ce sens, son message semble s’accorder facilement avec celui de Adichie et celui de Shire.
Cependant, on ne peut nier qu’il existe un risque de voir les propos de ces deux auteures se diluer dans une marque de féminisme qui célèbre la femme mais qui est ultimement passif et bien-pensant. En effet, le féminisme de Beyoncé est avant tout un féminisme « sexy » dont l’aspect principal est de récupérer et affirmer le contrôle de son propre corps et son image. En bref, un féminisme souvent individualiste et qui se cache de son propre privilège.
Les propos d’Adichie sont plus complexes, dans sa conférence elle cherche à montrer l’importance de renverser les rôles de genres dans l’éducation des jeunes filles et des jeunes garçons. De plus, elle se réfère à un contexte culturel très particulier : son enfance au Nigéria et les spécificités que cela entraine. Adichie examine dans ses écrits les rapports complexes entre féminisme, race, position sociale et immigration.
De son côté, les poèmes de Shire vont bien au delà de ce que Beyoncé nous laisse entrevoir dans Lemonade, elle aborde notamment des problématiques actuelles d’immigration qui lui ont valu des articles dans The Guardian, elle s’est aussi prononcée publiquement contre la mutilation génitale féminine.
Malgré les allusions aux violences policières et au mouvement Black Lives Matter, (entre autres thématiques politiques présentes dans l’album), Lemonade a trop rapidement été lu comme une fenêtre sur le mariage de Beyoncé et la supposée infidélité de Jay-Z; puis ré-analysé comme ode à la femme noire et hymne de guerre pour celle-ci. C’est ce qui risque d’arriver à des œuvres littéraires complexes trop vite assimilées à l’artiste, à ce qu’elle représente, mais aussi à ce que la presse et les fans choisissent de souligner dans ses chansons. Espérons que ces collaborations puissent produire un débat et donner véritablement la parole à ces femmes de lettres sans faire d’amalgames entre leurs discours et ceux de la superstar.
Anais Ornelas