Quand j’étais adolescent, j’ai décidé de me choisir un autre peuple. J’ai rejeté la France et la Syrie. A la place, j’ai choisi les dessinateurs. Lorsque je rencontre des dessinateurs japonais ou russes, nous avons les mêmes problèmes, les mêmes idées.
Photo G.R. © Le Télégramme
Auteur, dessinateur, réalisateur, Riad Sattouf a été lauréat de nombreux prix au festival de la BD d’Angoulême, et a également obtenu le César du meilleur premier film pour Les Beaux gosses en 2010. Cet artiste polyvalent, ancien chroniqueur chez Charlie Hebdo, est à présent dessinateur pour Le Nouvel Observateur, où il publie Les cahiers d’Esther, basé sur les histoires vraies d’Esther A., une fillette de dix ans. Son plus grand succès aujourd’hui est son roman graphique autobiographique, L’Arabe du futur, pour lequel il a remporté le Fauve d’or du meilleur album en 2014. Le troisième volume de ces mémoires dessinées est attendu avec impatience, en France et à l’étranger.
Pour faire taire ceux qui pensent que la BD est destinée aux débiles légers
C’est à l’âge de 6 ans que Riad Sattouf se prend de passion pour la bande dessinée. En vacances chez sa grand-mère, il dévore les albums de Tintin, dont il ne se lasse jamais. Son talent de dessinateur apparaît quelques années plus tard. Un jour, alors qu’il avait fait le dessin d’un bonhomme, sa grand-mère, émerveillée, reconnaît Georges Pompidou dans le personnage (en réalité purement imaginaire). Le jeune Riad, flatté, réalise alors sa vocation : impressionner le monde par ses dessins.
En 2003, sa série BD à succès, Les pauvres aventures de Jérémie, dont le jeune personnage ressemble étrangement à l’auteur, reçoit le prix René Gosciny au festival d’Angoulême et fait de lui un dessinateur de renom. Ses bandes dessinées et ses films, dont Les Beaux-gosses reprennent essentiellement les thèmes de l’adolescence, de la vie de banlieue et du langage des jeunes (surtout le langage texto), qui le fascinent.
L’Arabe du futur, traduit dans seize langues, consacre sa renommée internationale. Le roman graphique, suivant la veine de Persepolis de Marjane Satrapi, raconte sa jeunesse mouvementée et troublante en Lybie, en Syrie et en France dans les années 80.
En adoptant le ton léger et innocent de l’enfant, Riad Sattouf relate ses expériences en se gardant de juger et se préservant du jugement à son tour. L’originalité de l’autobiographie sous forme de bande dessinée, mais surtout son style épuré et simple, qui illustre son histoire bouleversante, a su conquérir même les moins adeptes du neuvième art.
« Un chef d’œuvre » pour beaucoup, ses dessins à courbes, en noir et blanc, tracés à l’encre de chine, avec une altercation de quelques pointes de couleurs vives, représentant chacun des pays où il a vécu (jaune pour la Libye avec ses paysages sablonneux, rouge pour la Syrie rocailleuse, et bleu gris pour la France et le temps Breton) illustrent parfaitement et simplement les différences de cultures et d’expériences vécues sous le prisme du regard de l’enfant.
Ayant reçu le Fauve d’or au festival d’Angoulême de 2014 pour le premier volume de la série, il décline sa nomination au festival de 2016 pour le deuxième tome, en raison de son indignation face à l’absence de femmes parmi les nominés.
L’Arabe du futur : la chronique d’une enfance traumatisante
Lorsque la guerre éclate en Syrie, une grande partie de la famille de Riad Sattouf se trouve encore dans le pays. Les démarches pour obtenir des visas pour ses proches pris en plein conflit sont difficiles et interminables. S’apercevant que la France n’est pas la terre d’asile que l’on imagine, il décide de partager son angoisse et ses difficultés, dans son album autobiographique. « Mais il fallait que je raconte ça depuis le début », dit-il.
Il y raconte tout d’abord la rencontre de ses parents, son père syrien et sa mère française, sur les bancs de la Sorbonne. Lui, le petit Riad, est né à Paris le 5 mai 1978. Deux ans plus tard, toute la famille part en Lybie à la suite de son père, au panarabisme profond. Sous le régime de Kadhafi, où la propriété privée n’existait pas, la famille Sattouf rentrait parfois chez elle pour découvrir qu’une autre famille s’était installée dans la maison pendant leur absence. Quelques années plus tard, le père de Riad, désillusionné par le régime Kadhafi, emmène sa famille en Syrie, dans son village natal, Ter Maaleh, traditionaliste et à majorité analphabète. Le jeune Riad, timide et frêle, subit les moqueries et les insultes de ses cousins machistes, tandis que sa mère et les autres femmes de la famille, sous le régime des règles islamiques, sont séparées des hommes, notamment aux heures des repas.
Riad est forcé de suivre des cours dans une école très traditionaliste par son père, qui espère le modeler à son image et faire de lui « l’Arabe du futur ».
Sa patrie est le neuvième art
A l’âge de douze ans, Riad Sattouf retourne en France. Mais là encore il ne se sent pas chez lui. De retour dans son pays natal, il doit faire face aux moqueries et propos racistes qu’engendre son nom. Etranger, voilà comment le dessinateur, ni tout-a-fait français, ni tout-a-fait syrien, s’est toujours senti. Mais cet état a largement servi son inspiration.
« Quand on est étranger, on observe mieux les gens. C’est ce que je fais encore aujourd’hui. Je suis un observateur. Les dessinateurs sont par définition des étrangers : étrangers à la littérature, à l’art, à l’institution », affirme-t-il dans une interview pour The Guardian.
En effet, c’est toujours avec un certain recul, et sans engagement politique, que le dessinateur peint le quotidien autour de lui. Chroniqueur pour Charlie Hebdo de 2004 à 2014, il ne s’intéresse pas particulièrement à la politique, mais réussit à y faire publier sa série La vie secrète des jeunes, basée sur des conversations entendues dans la rue, des petites scènes qu’il a observées et reproduites dans ses dessins. Après les attaques du 6 janvier 2015, il participe aux manifestations en hommage à ses anciens collègues malgré son manque de patriotisme. L’auteur ne supporte pas le communautarisme, et regrette d’être parfois invité à participer à un projet simplement en raison de ses origines arabes. Comme il l’a affirmé dans de nombreux interviews, le dessinateur ne se sent ni arabe ni français : « je suis dessinateur » se contente-t-il de répéter.
Ashley Cooper