La littérature est un art de prédilection pour rendre compte de l’amour. Miroir de la condition amoureuse à travers les siècles, des divinités mythologiques à l’amour contemporain, lumière sur ce dialogue intemporel entre les mots et l’amour.
UNE MARQUE SOCIOLOGIQUE
Si l’amour est le thème prépondérant de la création romanesque, son traitement ne cesse d’évoluer au fil des siècles. Au XVIIe siècle l’amour baroque renvoyait à un amour-rédemption, conduisant au bonheur parfait, tel que « l’amour tendre » présent dans le roman pastoral, inauguré par l’Astrée (1607) (Honoré d’Urfé).
Puis, l’amour-sombre succède à l’amour-rédemption qui devient dans les années 1630 synonyme de dégrisement, évoqué comme une « maladie de l’âme » impitoyable pour celui qui la porte, proche de la folie et du malheur.
Dans son roman Les Désordres de l’amour (1675) Mme de Villedieu donne ainsi une vision pessimiste de l’amour qui sera reprise par les Précieuses : avec notamment la conception du mariage comme antagoniste de l’amour, illustré par Madame de la Fayette. En effet, l’obstination de la Princesse de Clèves à refuser les avances du Duc de Nemours correspond moins à un dessein moral qu’aux exigences de l’esthétique précieuse même : l’amour se doit d’être impossible et hors légitimité pour exister, pour être sublimé. Afin d’en préserver l’ardeur cet amour devait rester platonique.
Véritable reflet sociologique, cette conception pessimiste de l’amour est ici étroitement liée à la philosophie de l’époque. Madame de La Fayette s’est directement inspirée de la vision négative de l’amour livrée dans les Pensées de Pascal mais aussi décrite par la Rochefoucauld.
Au XVIIIe siècle, l’amour se transfigure en érotisme, incarnant le plaisir et l’hédonisme ; Vivant Denon (Point de Lendemain), ou Choderlos de Laclos (Les Liaisons dangereuses) en sont les principales figures représentantes. Ces oeuvres traduisent les bouillonnements des esprits de ce siècle marqués par la remise en cause du christianisme, les progrès scientifiques, et l’évolution et la libéralisation des moeurs.
En 1795, Mme de Staël affirme que «L’amour est toujours l’objet principal des romans » (Essai sur les fictions). À l’aube d’une nouvelle révolution amoureuse, Mme de Staël exprime l’avènement de la sensibilité romantique qui, allant à l’encontre du classicisime et de la rationalité des Lumières, recentre la création littéraire vers l’expression des passions et transfigure l’amour en un sentiment majestueux.
UNE PRATIQUE CATHARTIQUE
De l’Amour, (Stendhal) est un essai développant une réflexion sur les aspects psychologiques et sociologiques de l’amour. À travers les lignes, on peut surtout lire la passion désespérée de l’auteur pour Matilde Dembowski, qui ne partage pas son sentiment. La théorie de la cristallisation est alors au cœur de la réflexion stendhalienne, exprimant le mécanisme d’idéalisation présent dans la passion amoureuse : « En un mot, il suffit de penser à une perfection pour la voir dans ce qu’on aime.»
Michel Crouzet dans la biographie Stendhal ou Monsieur moi-même, révèle le caractère exutoire de l’essai stendhalien « En l’écrivant, Stendhal parvenait à vivre son désespoir et à le rendre actif, à s’en détacher ; analyser l’amour, et trouver au fond de l’analyse une leçon de logique, pour le rendre heureux, ou s’en consoler, ou au moins ressentir le sursaut d’orgueil de la lucidité, et de la victoire sur le malheur […] l’expérience personnelle s’intégrait aux lois générales de l’amour : écrire console et réconforte. ». Selon ce grand spécialiste de Stendhal, si De l’amour est aujourd’hui l’œuvre la moins lue, c’est que sa vision de l’amour est perçue comme étant trop romantique pour les contemporains : « Alors que le « moderne » nie que l’amour ait un sens et y voit un narcissisme furieux et cruel, le Narcisse Stendhalien sait que l’amour a un sens : la cristallisation qui, certes, produit l’objet du désir, n’élabore que des perfections ; le désir est magnifiant par définition»
Si la thématique de l’amour, prépondérante en littérature, se traduit par un aspect sociologique fort, elle manifeste surtout la marque intemporelle d’une propriété humaine, et la fonction cathartique de cet art, qui, de Aristote à nos jours, ne cesse d’être exploitée.
Victoire de Piédoue