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Le Festival de Cannes, un événement littéraire ?

La 69e édition du Festival de Cannes célèbre son ouverture aujourd’hui avec la projection du nouveau Woody Allen, Café Society. Le Festival est sans doute le moment le plus attendu par les cinéphiles du monde entier. Cependant, il s’agit aussi d’un moment privilégié de rencontres et d’échanges entre le monde du cinéma et celui de la littérature. Nous vous proposons donc de revenir sur les grands moments littéraires du Festival, hier et aujourd’hui.

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Les écrivains jury, une tradition depuis 1949

Les adaptations constituent aujourd’hui le lien le plus évident entre la littérature et le Festival. Plus d’une trentaine des Palmes d’or ont été décernées à ce type de productions, certaines sont devenues de grands classiques telles que celle du Guépard de Lampedusa, qui a remporté la Palme d’or en 1963.

Historiquement, Cannes a été pendant longtemps une célébration du cinéma lors de laquelle la littérature était l’invitée d’honneur. Notamment à travers la présence de figures littéraires dans le jury : Hanif Kureishi, Linn Ullmann, Emmanuel Carrère, Orhan Pamuk, Toni Morrison, Edwige Danticat, Erri De Luca, Philippe Labro, Yasmina Reza, Zoe Valdès, Antonio Tabucchi, Nadine Gordimer, Peter Handke, Norman Mailer, Jorge Amado, Jorge Semprun, Garcia Marquez, pour ne citer que les plus récents. Certaines années, le jury fut même composé par plusieurs écrivains : Patrick Modiano et Arundhati Roy, Paul Auster et Michael Ondatjee, Kazuo Ishiguro et Cabrera Infante… Et présidés par des écrivains (!): Maurois, Genevoix, Cocteau, Pagnol, Achard, Giono, Salacrou, Chamson, Asturias et Tennessee Williams.

L’affaire Coppola / Sagan

En 1979, le Festival accueille (presque par miracle) Francis Ford Coppola, réputé par sa mégalomanie et ses exigences loin du raisonnable, pour une projection de Apocalypse Now. La Palme d’or est décernée ex-aequo à Coppola et Schloendorff, réalisateur du Tambour. Françoise Sagan, alors présidente du jury, écume d’indignation face à cette décision qui doit plus au désir de flatter un grand nom comme Coppola qu’à une compétition objective. Elle n’hésite pas à déclarer à la presse sa préférence pour Le Tambour et affirme que Apocalypse… a reçu la Palme pour des raisons politiques et non cinématographiques. Scandale s’ensuit, puisque les décisions du jury sont censées être strictement confidentielles, et l’auteur de Bonjour Tristesse s’envole, sans payer ses dépenses personnelles.

En 1960, c’était Georges Simenon qui contestait la décision des jurys contre qui il milita pour que la palme revint à La Dolce Vita. Il réussit sa mission, après avoir convaincu Henry Miller de voter pour Fellini, entre deux parties de ping-pong. C’est cette récompense qui marqua le début du succès de Fellini et scella son amitié avec Simenon. Le dernier auteur à présider fut William Styron en 1983, il s’agit aussi du dernier non-professionnel du cinéma.

La 69e édition

Cette année, l’on recense un nombre considérable d’adaptations parmi les 49 films sélectionnés. Dans les films en compétition pour la Palme d’or, nous trouvons Mal de Pierre, de Nicole Garcia, adapté du best-seller italien éponyme de Milena Agus, avec Marion Cotillard et Louis Garrel au casting. Ce film promet donc autant de succès que le matériel original, histoire d’une femme, d’amour de sexe et de folie ayant lieu en Sardaigne. Aussi avec Marion Cotillard, Juste la fin du monde, le nouveau Xavier Dolan, transpose la pièce de théâtre Les solitaires intempestifs de Jean-Luc Lagarce. La démarche de l’enfant terrible québécois est originale : rares sont les pièces qu’on transpose au cinéma. Le film compte l’un des castings les plus flamboyants du Festival, avec Léa Seydoux, Gaspard Ulliel et Vincent Cassel. On retrouvera aussi dans la compétition Oh… de Philippe Dijan, thriller érotique qui devient Elle au cinéma, avec Isabelle Huppert, Laurent Laffite et Virginie Effira. Finalement, Park Chan-wook s’attaque au roman de Sarah Waters, Du bout des doigts, dans son film Handmaiden.

Dans la catégorie Un certain regard, deux adaptations basées sur des romans italiens sont en compétition : Stefano Mordini adapte Periclès le Noir de Ferrandino et Stéphanie di Gusto s’attaque à Loïe Fuller, la danseuse de la Belle Epoque de Giovanni Lista dans La Danseuse, protagonisé par Soko. La chanteuse reconvertie en actrice joue aussi dans Voir du pays, adapté du roman éponyme de Delphine Coulin. On peut aussi citer pour l’anecdote le nouveau Jim Jarmusch, Paterson, avec Adam Driver, qui raconte l’histoire d’un poète et le réalisateur de Rester vertical, Alain Guiraudie l’auteur de Ici commence la nuit, publié chez P.O.L. en 2014. Finalement, l’adaptation du Bon gros géant de Roald Dahl, signée Spielberg, fera son avant-première mondiale lors du festival.

Une opportunité financière

Le Festival est un moment littéraire important pour l’industrie du livre. Depuis dix ans, notamment avec la sortie du Da Vinci Code, livres et films s’efforcent d’augmenter mutuellement leurs ventes. La sortie d’adaptations contribue aux rééditions de classiques mais aussi d’ouvrages moins connus : de L’étrange histoire de Benjamin Button à Gatsby le magnifique en passant par l’Écume des jours.

Les films s’appuient sur un lectorat captif pour tenter d’assurer un succès relatif. Pour l’édition, une adaptation permet d’améliorer les ventes et parfois de faire connaitre des romans ayant fait peu de ventes. L’achat ou rachat des droits est pour l’éditeur un pari risqué, qui ne porte ses fruits qu’à long terme puisque le temps de production d’un film dépasse en général deux ans et que la qualité n’est pas assurée.

L’ampleur du travail de l’éditeur avant la sortie des adaptations est complexe. Il peut s’agir de réimprimer un roman poche comme pour Voir du pays. Ce tirage peut aller des 8000 exemplaires au 12000 pour les adaptations ayant plus de potentiel, et bien sûr beaucoup plus pour les grands événements. Le Bon gros géant aura droit à une réimpression en plusieurs versions qui reprend les codes graphiques du film. Le « cross marketing » est donc en vogue, même les écrivains sont associés à la promotion.

Une émancipation progressive ?

Malgré le caractère littéraire des films en compétition, il n’y a cette année aucun écrivain au jury. L’on peut y voir un reflet inquiétant de nos temps, notamment de la perte de prestige dont souffrent la littérature et la profession d’écrivain. Aujourd’hui, le jury est composé uniquement de professionnels du monde du cinéma. On peut se demander si le festival n’en perd pas en richesse. Avoir des écrivains au jury permet de varier les points de vue et les sensibilités, d’inviter un regard qui est en dehors de l’industrie, qui a des références et des points de vue critiques autres.

Dans En lisant en écrivant, paru en 1980, Julien Gracq affirmait que le cinéma ne s’était pas encore émancipé de la littérature. Ses propos sont encore valables aujourd’hui, puisque le cinéma de grande qualité puise toujours, et de plus en plus, dans la littérature. Il semble donc assez contradictoire de ne pas demander à des auteurs ou des critiques leurs avis sur les productions. La relation entre Festival et le monde des lettres s’en trouve donc réduite à des transactions et exclue l’échange d’idées esthétiques, philosophiques et même politiques qui avait lieu du temps où les écrivains affluaient aussi à Cannes.

Ces considérations vous attristent ? N’ayez crainte ! Lecthot vous conseille les meilleurs ouvrages sur Cannes, à travers la synergie avec les lettres, présentant même des fictions inspirées du Festival !

Témoignages :

« Citizen Cannes »: La Vie Passera Comme Un Rêve de Gilles Jacob, un très beau livre d’une grande figure du Festival.

Le Festival de Cannes de Frédéric Mitterrand chez Robert Laffont, description percutante d’une foire aux vanités.

Two Weeks in the midday sun, du journaliste Roger Ebert, le Festival du point de vue des Américains.

Réflexions

Les écrivains du 7e art de Frédéric Mercier, plongée dans les aventures cinématographiques des grands noms de la littérature à Cannes.

Cannes 1939, le festival qui n’a pas eu lieu d’Olivier Loubes, une réflexion intéressante sur le premier Festival, avorté en raison de la guerre, avec notamment des passages très intéressants sur la participation du projet de festival dans la diplomatie française.

Fictions

Super-Cannes de JG Ballard. Auteur de High Rise dont l’adaptation vient de sortir au cinéma, Super-Cannes est peut-être son meilleur roman. Il offre au lecture une vision originale, futuriste et sans clichés du Festival.

Anais Ornellas

 

 

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